Nihil Nove

28 juin 2005

Critique : Fijacion Oral

Il n'est pas difficile pour quelqu'un comme moi de voir l'expression « artiste pop » comme une contradiction dans les termes . La musique populaire, surtout depuis l'arrivée de la télévision musicale, ressemble beaucoup plus à un bizness, voire à un dressage, qu'à de l'art . Toutefois il arrive que quelqu'un vienne apposer une exception à cette règle en faisant des chansons aux mélodies résolument aguicheuses mais où l'on trouve néanmoins un vrai travail d'écriture musicale et de réflexion artistique .

C'est ce que l'on trouve dans le nouvel album de la chanteuse Shakira, Fijacion Oral, Vol. 1 . Shakira était déjà très connue en Amérique du sud mais je ne l'ai néanmoins découverte qu'avec le reste du monde lorsqu'elle a sorti son premier disque en langue anglaise, Laundry Service, en 2002 . L'on peut facilement prendre cette belle blonde pour un autre clone de Britney, de la même facture en série de chanteuses-barbies dont la créativité est orchestrée par des réunions d'entreprises . Ce serait pourtant une erreur, car quelques détails cruciaux montrent que Shakira n'est pas complètement ce à quoi elle ressemble de loin .

Il est d'abord facile de voir qu'il s'agit là d'une femme et pas d'une fillette comme les autres lolitas qui virevoltent derrière nos étranges lucarnes . A regarder de plus près cette femme, je n'ai pu qu'être frappé de sa beauté, une vraie beauté avec son charme propre, pas simplement une absence savamment ouvragée de tout défaut et donc de tout caractère . Puisqu'il le faut bien, et probablement aussi parce-que ça lui plait, Shakira n'hésite pas à utiliser sa sexualité comme un appât, mais elle ne danse pas les mêmes chorégraphies interchangables, elle danse avec son propre style, nettement inspiré de son héritage libanais .

Et, surtout, Shakira est une musicienne . Elle sait jouer de la musique, connaît son solfège, sait écrire une chanson, et ça s'entend . Cela s'entendait dans Laundry Service, et je suis heureux de découvrire que cela s'entend dans Fijacion Oral, Vol. 1 .

Depuis son album de 1998, ¿Dónde están los ladrones?, Shakira n'avait plus sorti d'albums en espagnol, et le volume 1 de Fijacion Oral renoue avec sa langue natale . La sortie du volume 2, partie anglaise de l'album, est prévue en novembre aux États-Unis .

La production de Fijacion Oral est bien entendue impeccable, ce qui est aujourd'hui le minimum pour un artiste qui a autant de succès que Shakira, mais pour une fois ces moyens sont mis au service d'une recherche musicale . Shakira mélange les sons, y compris beaucoup de choses que je n'aime d'habitude pas : synthétiseurs des années 80, ragga, accordéons, etc. mais grâce à la subtilité des arrangements le résultat est convaincant et efficace .

Fijacion Oral est un album pop sans complexes, et les mélodies sont assez accrocheuses pour pousser les non hispanophones comme moi à chanter les refrains, si tant est qu'ils ne savent pas qu'on les regarde . Les influences de la pop contemporaine ou de l'enfance de Shakira sont mélangées avec bonheur avec de la bossa, du cha-cha, ou des sons issus presque directement du répertoire des Police—toujours une bonne influence .

Bref, il n'existe peu ou pas de chanteuses pop connues internationalement qui soient aussi intelligentes, ambitieuses, talentueuses ou belle que Shakira, et Fijacion Oral est un vraiment bon album de musique résolument populaire .

27 juin 2005

Les lectures de l'été

L'été a ses « tubes », mais également ses livres : les fameux romans de plage . Pour beaucoup, les vacances sont l'occasion de s'éloigner des tourments de la vie citadine, de puiser une eau nouvelle à ses sources intérieures, et la lecture, pour laquelle l'on a pas le temps durant l'année, est un excellent véhicule pour ce voyage intérieur . Loin de vouloir faire des suggestions à nos lecteurs, laissez-moi seulement évoquer avec quels ouvrages, pendant ces vacances qui s'annoncent longues comme un jour sans vent, je compte me rafraîchir .

Ce qui pour moi est un bon livre d'été, c'est un livre court . Puisque la chaleur m'empêche de mettre vestes et manteaux, dont les poches peuvent contenir de larges volumes, je passe le mois de juin à m'abattre comme un rapace sur les livres au format fascicule que je peux glisser à l'arrière d'une poche de jean, complétant avec une fausse négligence la panoplie de l'intellectuel parisien . Interrompue, donc, la lecture de la nouvelle édition des Mémoires d'outre-tombe .

Relancée, par contre, mon affection pour la collection Librio, ces petits livres à 2€, mal imprimés sur du mauvais papier mais valant presque toujours leur besant . Mises à part certaines concessions à un certain esprit de mode, comme des « topos » sur tel ou tel sujet d'actualité, les éditeurs de cette collection ont le talent de la trouvaille : à côté des courts textes les mieux connus de notre littérature j'ai acheté à l'occasion de détours par stations de service, buralistes et autres commercants qui avaient des livres entre les cartes postales et les briquets, nombre de textes que j'ai ensuite toujours lu avec plaisir . Je recommande par exemple, à l'amateur comme au novice, leur anthologie de la science-fiction en cinq volumes . Je recommande surtout de prêter attention au rayon Librio de votre librairie .

Mis à part Librio, j'ai découvert à l'occasion de ma recherche de petits livres de nombreux ouvrages d'autres collections . Par exemple Novecento, monologue théatral de l'auteur italien contemporain Alessandro Baricco, oeuvre très jolie qui ne me donne qu'une envie : aller acheter son roman Soie, plus épaix qu'un fil du tissu éponyme mais néanmoins assez mince pour mon pantalon, devenu depuis le solstice l'étalon de ma consommation littéraire . Parmi mes autres découvertes, l'on trouve d'Alain Besançon, de l'Institut, Le Malheur du siècle, bref essai sur le nazisme et le communisme qui exprime des vues auxquelles j'adhère avec beaucoup plus de précision et de rigueur que je ne le pourrais, ou encore un Nietzsche de Stefan Zweig .

Allez dans votre librairie, avec un peu de chance elle est climatisée . Faites le tour des petits livres . Et, que vous alliez en vacances à la campagne, à la mer ou à la montagne, n'oubliez pas d'y lire un petit fascicule déformé et maltraité—bref, vivant—par un séjour dans votre poche révolver .

18 juin 2005

La Pac' contre la ristourne?

Dans les apparences, l'on assiste en ce moment à Bruxelles (ce mot se prononce Brusselles, comme les autres mots dont le x est précédé d'un u) à une valse des égoïsmes . A l'occasion du sommet européen visant à déterminer le budget de l'Union européenne pour les années 2007-2013, deux politiques, mais également deux conceptions de l'Europe, se sont affrontées .

Comediante

D'un côté M. Blair, le premier ministre Britannique, plus que jamais l'héritier de Mme Thatcher, défend la vieille ristourne, aujourd'hui complètement injustifiée, à laquelle son pays avait eu droit lors de sa dépression économique . Il le fait, bravant l'offuscation des bien penseurs de l'Europe, avec ce délicieux machiavélisme qui fit le plus grand empire de l'histoire .

C'est également un malin machiavélisme car il a retourné la situation à son avantage en reprochant au Président de la République M. Chirac, qui avait lancé l'offensive sur le terrain de la ristourne, de vouloir maintenir en l'état la Pac', la politique agricole commune de l'Union européenne, une situation qui bénéficie surtout à la France . Et celui-ci, plus aiguillonné par la peur de déversements de purin devant les sous-préfectures du Berry que par l'interêt de la Nation, de soutenir le siège de Bruxelles comme un Monluc corrézien .

Et la valse de tourner à la pantalonnade, chacun taxant l'autre de sobriquets par conférences de presses interposées . Et le choeur de commenter d'une même mélodie . D'abord de s'offusquer d'un « retour en arrière » des dirigeants européens qui sont accusés de vouloir défendre les interêts de leur pays au sein de l'Union . Quel scandale, en effet, de voir des hommes élus par leur peuple pour défendre ses intérêts défendre ses intérêts...

Et d'embrayer vers une condamnation de la Pac', présentée avec l'aplomb des évidences . Beaucoup trop d'argent dépensé, un secteur qui ne crée pas d'emplois, vieillot, qui ne sert à rien ; donnons donc à M. Blair ce qu'il veut, finissons-en avec cette Pac' . Cette position est loin d'être aussi évidente, ce qu'une brève histoire de cette politique et une évocation des enjeux mondiaux qu'elle suppose aujourd'hui devraient montrer .

Tragediante

Il convient d'abord de rappeler, en ce soixante-cinqième anniversaire ignoré de l'Appel du 18 juin, que la politique agricole commune est une des grandes réalisations du général de Gaulle . Elle était une des conditions d'accession de la République fédérale allemande au marché commun : les produits industriels allemands seraient placés en position dominante dans le marché français, en échange de quoi les produits agricoles français seraient placés en position dominante dans le marché allemand . La Pac' a alors permis la survie d'un secteur alors vital de notre économie, et est devenue une des pierres d'angles de la construction européenne .

En effet, la Pac' reste à ce jour, avec l'aide aux régions qui est relativement insignifiante en comparaison, la politique la plus efficace de l'Union . Alors que n'a cessé l'arnaque intellectuelle de présenter Airbus comme un succès de l'Union européenne alors qu'il est un succès d'un modèle de construction européenne différent de celui de l'Union, la Pac', quant à elle, est un vrai exemple d'un succès d'une politique intégrée européenne—voire le seul . Ceci montre que la défense de la Pac' est, comme presque toujours et contrairement à ce que proclament les prétendus « européens convaincus », une politique où les intérêts de la France et de l'Europe sont de conserve .

Il convient enfin de s'élever au-dessus de l'étroite logique économiste qui ne voit dans l'agriculture qu'un secteur de l'économie . La plupart des défenseurs de l'agriculture se fondent sur une évocation romantique de la terre-terroir, à laquelle un attachement ataviste est réclamé . Bien que, comme l'immense majorité des français, je suis descendant de paysans, ne comptez pas sur moi ici pour reprendre cette rhétorique, même si elle n'est pas sans toucher une partie affective de mon esprit .

Je préfère ici souligner l'importance géostratégique des produits agricoles en évoquant un de ces faits tous simples qui sont pourtant un des moteurs de l'histoire . Ce fait est que si on ne mange pas, on meurt .

Cela semble échapper à chaque débat sur l'avenir de l'agriculture . Cependant, il ne faut pas être grand clerc pour comprendre qu'il est simplement impossible qu'un pays qui dépend d'un autre pour quelque-chose d'aussi essentiel que la nourriture puisse avoir une politique vraiment indépendante . La nourriture est l'élément le plus oublié et pourtant le plus essentiel de la géopolitique, car, comme l'indépendance militaire, l'indépendance agricole est une condition sine qua non d'une vraie présence sur la scène mondiale .

Il existe aujourd'hui dans le monde deux puissances agricoles : les États-Unis, qui nourrissent le monde, et la France, qui nourrit l'Europe . Ces deux puissances sont artificiellement maintenues en état de fonctionner, grâce à des subventions dont les montants exorbitent les yeux de ceux qui sont aveugles aux impératifs que je viens de mentionner . Tout comme les subventions américaines à l'agriculture, si la Pac' tombe, l'agriculture française tombera . De la survie de la Pac' dépendent donc, à terme, la survie de l'indépendance de la France et la possibilité d'une indépendance de l'Europe .

C'est ici que se pose le vieux problème du rôle ambivalent de la Grande-Bretagne dans les institutions européennes, dont la détermination à massacrer une politique qui empêche l'arrivée d'une autre forme d'impérialisme américain en Europe est un autre gage de sa position de cheval de Troie des intérêts américains au sein de l'Union . Le choix de ce pays, qui a tant apporté à la civilisation occidentale, et qui a des atouts pour aspirer comme la France à la grandeur et à l'indépendance dans une Europe unie, de se faire toujours le subordonné des États-Unis, me choque et me remplit d'une sympathie pour un pays dont, comme le disait Winston Churchill pour défendre l'indépendance française, les barons en décousaient déjà avec les notres il y a mille ans .

En effet, si la Grande-Bretagne et les États-Unis sont deux pays séparés par une même langue, la France et la Grande-Bretagne sont certainement deux pays séparés par une même culture .

Crise

Peut-être occupe-t-il un costume trop grand pour lui : le président en exercise de l'Union européenne est le Premier ministre du Luxembourg, Jean-Claude Juncker . M. Juncker, après avoir échoué dans son rôle de médiateur, a récemment admis que l'Union était entrée dans « une crise profonde » . Pourvu qu'il sache ce qu'il dit : le mot crise a reçu son sens d'Aristote . Fils de médecin, il connaissait son sens médical : une crise est, dans une maladie, le moment de vérité . Au moment de la crise, tous les symptômes sont apparents, et c'est là que le médecin doit déterminer quelle est la maladie et quels remèdes employer . Après la crise, le seul impératif est l'action, et la seule alternative est la guérision du patient, ou sa mort .

Cependant, il est douteux que les Sganarelle de l'Union soient en mesure d'apporter un bon diagnostic à ses maux, ni a fortiori un bon remède . En effet, la construction européenne, entreprise magnifique au principe de laquelle j'adhère de toute mon âme, a été ratée car ses auteurs ont voulu aller trop vite, croyant qu'en instituant leur belle idée au mépris des réalités ils mettraient les peuples devant le fait accompli et qu'ils s'y adapteraient volens nolens . Il n'est pas trop tard pour rectifier le tir, mais le temps est compté : nous sommes en crise .

Remède

En réalité, les dirigeants européens n'ont pas besoin de fixer le budget 2007-2013 avant la fin 2006 . Seulement, ils ont décidé de le précipiter pour, après la mort du Traité-constitution, montrer que l'Union restait unie autour de chefs d'États et de gouvernements qui regardent tous dans le même sens . Tout comme l'échec de la Constitution montre la disparité entre les conceptions populaire et technocratique de la construction européenne, l'échec de ce sommet montre la disparité entre les conceptions atlantiste et indépendante de l'Europe .

Je suis pour l'intégration européenne . Je suis pour une Constitution européenne . Mais il faut que cette constitution et cette intégration prennent en compte les peuples, faisant de leurs États le centre et les acteurs de l'Union européenne, donnant aux États la liberté de s'engager plus ou moins avant dans la construction européenne, permettant ainsi l'établissement d'une vraie communauté européenne de défense, d'une vraie politique financière et monétaire, le maintien de la politique agricole commune : bref, le remède face à la crise .

17 juin 2005

Assia Djebar

Une autre femme à l'académie ! Bien ! Mme Djebar n'a cependant pas été élue—la belle polysémie de ce mot qui signifie à la fois le suffrage du nombre et le choix d'En-Haut !—grâce à son sexe, mais grâce à ses origines . Celui qui était pressenti avant l'algérienne Mme Djebar pour prendre le siège du doyen Vedel était le libanais Amin Maalouf, ce qui montre la fixité et la nature de l'intention de la compagnie .

Certains se plaisent à s'offusquer de la tendance des immortels d'intégrer dans leur Walhalla des personnalités dont le choix pourrait être dû au politiquement correct ou au conformisme . Belle erreur ! A l'occasion de cette élection j'ai eu l'occasion de lire sur l'excellent site de l'académie les discours que s'échangèrent Valéry Giscard d'Estaing et Jean-Marie Rouart à l'occasion de l'acueil sous la coupole de l'ancien président de la Convention européenne . Celui-ci, conformément à la tradition de l'académie, prononça l'éloge de celui qui occupa son siège, l'illustre Léopold Sédar Senghor, saluant notamment sa décence de quitter volontairement le pouvoir, propos piquant dans la bouche de celui qui annonca son refus de quitter ses fonctions dans l'éventualité d'une victoire socialiste aux élections législatives de 1978 .

En réponse à M. Giscard d'Estaing, M. Rouart déclara avec tant de raison que :
L’Académie française, contrairement à l’idée reçue, n’a pas pour but de rassembler exclusivement en son sein les meilleurs écrivains d’une époque, mais de mêler un certain nombre d’entre eux à ceux qui ont honoré la France. Et particulièrement ceux qui l’ont servie.
L'Académie française n'est pas, ne doit pas être une sorte de club, qui ne serait ouvert qu'aux meilleurs écrivains de leur génération, ce bel habit vert devenant une sorte de Prix Goncourt ou d'Oscar « pour l'ensemble de son oeuvre » . La mission de l'Académie est autre, voire Autre .

J'ai déjà dit les sentiments quasi religieux que j'ai pour l'art . Comme le prêtre mais avec une présence divine différente, l'artiste est celui qui, par sa médiation, transforme la nature des choses . Le David de Michel-Ange était du marbre avant et après le ciseau du florentin . Seulement après le ciseau il était du marbre et autre-chose . Avec la langue qui est la nôtre, le rôle des lettres dans notre pays, l'histoire et la culture qui sont les nôtres, ce devoir de prêtre laïc est incarné plus que jamais dans l'écrivain en français . Plus que presque jamais : il est la figure civilisée du djali, du chaman des peuples primitifs, qui ne font pas la différence entre les rites religieux qu'il accomplit et les histoires qu'il raconte, entre sa fonction de prêtre et de raconteur, qui se rejoignent dans sa fonction d'incarner l'identité d'un peuple, non pas devant ceux qui l'écoutent mais devant l'éternité .

Devant cette situation de l'écrivain qui, je le crois, est unique à la langue française, le rôle de cette institution unique qu'est l'Académie est d'incarner rien de moins qu'une certaine idée de la France . Par cela je n'entends pas qu'elle doit avoir un rôle politique ou idéologique . Je veux simplement dire que, ce pays que nous sommes, cette France peut-être éternelle, qui a tout été depuis deux mille ans mais est toujours restée la même, cette France qui est plus que nationalité mais idée de liberté pour tant de peuples, est, par son histoire autant que par sa culture, inextricable de sa langue .

Et que donc, en étant les gardiens de la langue française, les quarante ne font pas un travail technique de grammairiens conservateurs ou même de grands hommes de lettres . Ils sont là parce-qu'ils tiennent une parcelle de l'âme de la France, si tant est qu'une flamme est une parcelle du feu . Donc, ils s'ouvrent avec raison aux étrangers, aux origines différentes, aux deux sexes, aux notabilités et aux grands serviteurs de la France, pour maintenir cette précieuse alchimie que l'on retrouve dans les textes de la compagnie, où toutes ces sensibilités si différentes mais qui ont quelque-chose en commun se retrouvent reliées dans une oeuvre commune .

Mais j'aimerais maintenant écarter cette vision presque eschatologique de l'Académie pour évoquer comment l'un des immortels les plus beaux, dans tous les sens du terme, Jean d'Ormesson, a résumé sa vie pour sa biographie d'académicien, et pour prier que je puisse un jour adhérer à cette description :
Études, voyages, amours. Essais et erreurs. Travaux et postes divers. Académies et distinctions.

15 juin 2005

Florence Aubenas

C'est sans prétention à l'originalité que je suis fier de proclamer mon plaisir et mon émotion de voir la libération de Florence Aubenas et de son guide Hussein Hanoun . J'ai regardé avec plaisir et une sorte de ferveur la conférence de presse de Melle Aubenas, enchanté de la voir confronter son aventure comme il le faut : avec force et foi en la vie .

Cet évènement pose évidemment la question de la liberté de la presse, si souvent bafouée à travers le monde . Elle est mise en danger même dans des pays comme la France, où des lois contre le racisme ou le révisionnisme créent un véritable danger de subordination de la liberté journalistique et académique à des imperatifs moraux . Si ceux-ci sont certainement justifiés, il est difficile de ne pas voir la régression qu'il y a à les rendre opposable devant les tribunaux .

Il est aussi lieu de se demander en échange de quoi d'autre qu'une rançon des ravisseurs pourraient être aussi empressés que l'a déclaré Melle Aubenas de réstituer leur otage . Contrairement aux États-Unis, qui ne négocient pas ou secrètement, à la Russie, qui intimide, ou à l'Italie, qui paye, la France n'a pas de politique claire en ce qui concerne ce genre d'évènements si ce n'est, semble-t-il, dire qu'on ne paye pas et payer ensuite . Personnellement j'ai toujours été partisan d'une politique intraitable et, appelons un chat un chat, musclée, mais une déclaration de politique quelconque serait bienvenue .

Cet épisode nous donne également une leçon sur l'engagement . Là où la plupart des manifestations populaires semblent dérisoires, il est probable que la mobilisation du pays en faveur du retour de Melle Aubenas a contribué à l'assiduité de l'action gouvernementale en vue de son retour .

Toutefois, il n'est pas question ici d'exposer ces problèmes complexes . Je préfère remettre cela à plus tard, pour simplement rendre public l'édifiante satisfaction à voir le retour et l'esprit vivifiant de cette courageuse journaliste .

14 juin 2005

Un an trop tard

C'est tellement mieux de tomber amoureux quand c'est d'un rêve...

L'année de la Chine est certes passée mais j'aimerais néanmoins évoquer ici une jeune femme quasi inconnue en Europe, et qui néanmoins mérite ici une mention . Il s'agit de la jeune artiste chinoise Tian Yuan . Chateaubriand déjà se plaignait de l'impossibilité en France de cumuler plusieurs activités artistiques . On le voit avec de nombreux éxemples, les artistes asiatiques n'ont peur de rien et font des bonds qui nous semblent à nous absurdes sans le moindre froid aux yeux .


Tian Yuan

Melle Tian, belle jeune femme de vingt ans, a déjà sorti deux albums à la tête de son groupe Hopscotch, joué un personnage principal dans le film hongkongais Butterfly et écrit un roman publié en France, La Forêt zèbre, roman surréaliste mais néanmoins bon, et un recueil de nouvelles .

Elle a d'ailleurs bon goût : ses films préférés sont Fight Club et Mulholland Drive, son groupe préféré sont les Smashing Pumpkins . Même si la musique de son groupe n'atteint guère le talent des Pumpkins, qui sont peut-être le meilleur groupe alternatif des années 90, elle reste d'une bonne qualité .

En somme, voici un talent dont la diversité et la précocité sont autant de magnifiques attributs qui éxaltent l'âme et réchauffent le cœur .

Comment aider l'Afrique?

M. Blair a tellement bien géré son pays qu'il lui faut maintenant en trouver d'autres à remettre sur pieds .

Cet excellent communiquant sait croquer des desseins politiques nets : après avoir déclaré que ses trois priorités pour son second mandat seraient : « l'éducation, l'éducation et l'éducation », il a tenu une allocution remarquée devant les membres de son parti peu avant l'ouverture de la campagne qui a mené à sa récente victoire .

Il y évoquait, non sans raison, le devoir moral des pays développés de venir en aide à ce continent sinistré qu'est l'Afrique . Il est vrai que la Grande-Bretagne, comme la France, a une histoire longue et perturbée de présence africaine ; l'on a peu parlé en France des problèmes qu'ont suscité les politiques de M. Mugabe au Zimbabwe, comme l'on a probablement peu parlé outre-Manche des tribulations liées à M. Gbagbo .

Il reste que, à l'occasion de la prochaine réunion du G8 et en tirant profit de la dette politique de M. Bush envers M. Blair, celui-ci a obtenu en un tournemain la suppression de 40 milliards de dollars de dette africaine .

Bien .

Seulement, ce n'est pas ce qui règlera le problème africain, et M. Blair le sait . La misère africaine n'est pas seulement liée à l'oppression de la dette, déjà maintes fois annulée, mais à d'autres facteurs autrement plus complexes .

L'on pense aux maladies, le SIDA, dont on parle, et le paludisme dont on parle moins parce-qu'il tue moins de riches, mais réduit des zones entières du continent, plus grandes que notre pays, à une inimaginable détresse .

L'on pense à l'égoïsme protecteur des grandes puissances agricoles—les États-Unis et la France—dont les subventions agricoles et les régulations sanitaires empêchent les produits agricoles africains de percer sur les marchés mondiaux .

L'on pense surtout à l'absence presque totale sur ce continent d'un droit respecté, et l'absence d'États pour assurer ce droit .

Tous ces facteurs posent un problème très complexe, dont la solution est donc loin d'être simple, mais une chose est certaine : ce problème ne pourra être réglé non pas à coups d'argent ou de contraintes indirectes, mais uniquement avec une collaboration directe et proche entre les États des pays développés et les pays africains, visant à l'érection de véritables États en Afrique qui pourront y garantir les droits de l'homme et y permettre le développement économique .

13 juin 2005

Homo homini lupus

Alors que je me prépare à me rendre à l'autre bout de Paris pour satisfaire à mes obligations d'étudiant en cette période d'examens, en avalant un léger déjeûner et en lisant, me voilà pris d'une soudaine envie de suspendre le cours de ma vie pour contempler ce monde si étrange où nous essayons de tracer les trajectoires de nos existences .

Dans autant d'onglets de mon navigateur, je lis en parralèle un extrait de Under the Loving Care of the Fatherly Leader, un nouveau livre censé être le premier et le seul portrait exhaustif de l'histoire, la politique, les moeurs, etc. de la Corée du Nord, et un article de Benoît XVI, alors préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, commémorant le débarquement en Normandie . Devant moi, voilà des couleurs qui représentent l'infini spectre des possibilités humaines . L'homme est capable de tout . Je refuse de trancher la dispute entre Hobbes et Rousseau, pour savoir si l'homme fondamentalement bon où s'il est un loup pour lui-même . Tout ce que je sais, c'est qu'il est capable de tout, des extrêmes les plus abjects de l'horreur, dont les régimes communistes restent l'exemple plus abouti, au don de soi dans l'amour le plus absolu, dont l'Église a donné et continue de donner les meilleurs exemples . L'homme est tellement capable de tout qu'il est loin d'être consacré à l'extrêmisme : nous sommes également capables de la médiocrité la plus fade . Et toutes les variations entre ces extrêmes et ce centre sont possibles : l'homme vraiment peut tout .

Avec moins d'éloquence, je rejoins ici Pascal et j'aimerais finir ce raisonnement avec lui, faisant valoir que les infinies possibilités de l'homme n'ont d'égal que ses limites les plus triviales . Quel mystère que nous sommes ! Quel paradoxe ! De là à résoudre ce paradoxe en cherchant refuge dans la Personne d'un dieu qui serait infini et inconnaissable, mais qui aurait voulu se faire homme et se révéler à nous...

Quoi qu'il en soit, c'est cette foi en l'infini potentiel de l'homme qui nous manque, dans notre France qui a arrêté de s'aimer, et qui a peur de son ombre : chômage, précarité, insécurité, masse jaune de chinois soudain éveillés avec leurs soutien-gorges au rabais, autant de spectres qu'on nous agite sous le nez et qui font leur effet ! Le malaise institutionnel et social de notre République est le résultat d'un état d'esprit, de cette peur et de cette résignation . Il ferait bon que nous retrouvions cette foi en l'homme, en sa capacité à faire, en sa liberté, en ses titanesques capacités . L'avenir de nos institutions en dépend .

10 juin 2005

Ferry/Julliard

Ferry/Julliard est une émission hebdomadaire de LCI, chaîne qui a eu l'idée toujours excellente de rassembler sur un même plateau deux hommes d'une vraie qualité intellectuelle et d'une bonne culture, mais de bords politiques différents . M. Jacques Julliard, dont je prends régulièrement et avec un plaisir toujours renouvelé connaissance de la chronique du Nouvel observateur, est un homme de gauche—mais néanmoins raisonnable . M. Luc Ferry, dont l'oeuvre philosophique est tout bonnement impeccable, à commencer par Le Nouvel ordre écologique, ouvrage bienvenu qui montre les dangers de la reconnaissance de droits écologiques, est de droite—mais néanmoins fréquentable .

J'aimerais attirer l'attention des lecteurs de Nihil Nove sur le Ferry/Julliard d'aujourd'hui, qui portait sur la personnalité du Président de la République, et sur l'oeuvre du Gouvernement de M. de Villepin . M. Julliard a attiré l'attention de son comparse sur le désastreux déclin de l'autorité de l'État, qui rappelle la décadence de la IVème République, et sur la nécessité d'un véritable dialogue social en France . Il s'est également élevé contre nos vélléïtés de passéisme et d'auto-flagellation . M. Ferry s'est, comme moi mais avec plus de talent, attristé de la disparition progressive d'une vraie politique dans notre pays, remplacée par une politique professionalisée, concluant par un constat où l'humour y partageait avec un sourd abattement : M. Ferry a déclaré n'avoir jamais vraiment su quelle était la politique du Gouvernement de M. Raffarin—alors même qu'il en faisait partie .

Les propos des deux hommes se complètent et j'y apporte mon accord intégral .

P.S. : J'aimerais également attirer votre attention sur cette page du site du Nouvel Obs, où M. Julliard répond magistralement à des questions que lui ont posé les lecteurs du site .

09 juin 2005

La voix de Pékin

En deux jours, je suis tombé d'accord avec deux communistes . Quand je me mets à tomber d'accord avec un communiste, je suis tenté de m'inquiéter, alors deux !

J'éspère seulement que le lectorat de Nihil Nove prendra ce fait pour preuve que nous ne sommes pas sectaires, ou aussi clairement « à droite » que notre libéralisme—qui n'est que pragmatisme face à l'épuisement de notre liberté républicaine—le laisserait penser .

Le premier communiste était hier M. Boquet, le chef du groupe PCF à l'Assemblée nationale, qui s'exprimait au nom de son groupe à la tribune de la chambre basse de notre Parlement, en réponse au discours de M. de Villepin . Il fustigeait la loi Fillon, dont le contrôle continu favorise les enfants de parents privilégiés et met en peril l'égalité que permet cette bonne institution qu'est le Baccalauréat . Nous sommes d'accord . Il s'est aussi élevé contre le danger que constitue la loi Perben pour les libertés publiques . Il est piquant de voir un homme qui réclame l'héritage d'une idéologie totalitaire se préoccuper des libertés publiques, mais, une fois encore, nous sommes d'accord .

Le communiste d'aujourd'hui est le ministre des affaires étrangères de la Chine populaire, M. Liu Jianbao . Celui-ci a exprimé ses doutes sur le projet de réforme des Nations Unies sur lequel M. Kofi Annan, le Secrétaire général de l'O.N.U., compte certainement pour laisser dans l'histoire une autre marque que celle de son rôle peu savoureux de singe de la sagesse lors des génocides du Rwanda et, aujourd'hui encore, du Darfour . M. Liu n'employa guère les périphrases onctueuses des diplomates vétérans, ou l'épaisse langue de bois des communistes : selon lui, le projet de réforme de M. Annan est un « plan immature » .

Il faisait référence à la disposition de ce projet qui viserait à faire des membres de ce que l'on appelle le « clan des quatre », le Japon, l'Allemagne, l'Inde et le Brésil, ainsi que deux pays africains indéterminés, des membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies . M. Liu, sur ce point, nous sommes d'accord .

M. Annan est dans la douloureuse situation de l'idéaliste qui occupe une position de perpetuel compromis, mais ceci n'excuse pas son illusion de croire qu'en ajoutant des pays de tous les continents au Conseil de sécurité il donnera un surcroît de « légitimité » à cette institution . Si tant est que ce fût vrai, il faudrait que quelqu'un informe M. Annan que légitimité ne signifie pas efficacité, la qualité dont les Nations Unies ont vraiment besoin .

Mettre d'accord les cinq membres du Conseil actuel représente déjà une tâche herculéenne . On le voit, pour reprendre un exemple notoire, à chaque fois que les États-Unis oblitèrent les rafales de résolutions visant à condamner les actions d'Israël en Palestine . Si l'on ajoutait encore six membres à ce Conseil, le relatif immobilisme de l'O.N.U. se transformerait en sclérose .

Le projet de M. Annan comporte cependant plusieurs autres dispositions, qui sont loin d'être aussi—M. Liu a trouvé le mot juste—immatures . La meilleure disposition est celle qui vise à réparer un des grands scandales qui entachent ce qui pourrait être un si joli machin, qui est la fréquentation de la Commission des Nations Unies aux droits de l'homme . Toutes les nations qui bafouent le plus ces droits s'y donnent rendez-vous pour empêcher cette commission d'entraver leurs néfastes activités . Ce serait évidemment une bonne chose de changer ce triste état de fait .

Les Nations Unies sont consumées par les préoccupations technocratiques de, semble-t-il, tous les fonctionnaires supranationaux : d'un côté une corruption et une inefficacité endémiques des organes, et de l'autre un droitdelhomisme évangélique et politiquement correct au goût de guimauve hautement indigeste . Il n'est ni réaliste—ni d'ailleurs souhaitable—que les Nations Unies deviennent un corps avec un véritable pouvoir de coercion pour les États membres . Toutefois, il est dans l'interêt des peuples, et de l'humanité entière, d'augmenter l'efficacité de ce qui n'est, effectivement, qu'un corps à la mécanique lourde et rouillée, mais qui pourrait être un forum pour les nations et un phare pour la défense de la dignité humaine .

Elle est probablement pédante, mais je trouve savoureuse l'ironie qu'il y a à finir un article pro-onusien par une citation du général de Gaulle . Toutefois, ce propos visionnaire que prononça l'homme de l'histoire à Bayeux s'est ici imposé à moi : « Nous avons à déployer, parmi nos frères les hommes, ce dont nous sommes capables pour aider notre pauvre et vieille mère, la Terre. »

08 juin 2005

Le sacrifice de l'esprit

Que retenir du discours de politique générale de notre Premier ministre ? Malheureusement peu de choses, car il fut tel que prévu : frileux .

Les mesures annoncées par M. de Villepin, et qui seront mieux détaillées ailleurs, sont certes bonnes, et elles représentent un pas dans la bonne direction, mais elles n'ont pas de commune mesure ni avec les mesures nécessaires, ni avec les ambitieux objectifs fixés par le Président de la République . M. de Villepin, comme le reste de la droite—et une partie de la gauche—est un libéral qui refuse de s'avouer, et ce discours n'a pas été l'occasion d'un coming out .

Notre économie a certes besoin de plus de liberté, cette liberté que recherchaient aussi les rédacteurs de la Déclaration des droits de l'homme et du Code civil . Notre pays a surtout besoin d'une vraie politique, avec un affrontement de convictions, avec de grandes mesures et de vrais débats d'idées . La frilosité et la recherche du consensus de nos hommes politiques endort l'esprit et alimente les impérieux dangers que sont les extrêmismes . L'idéologie ne peut être combattue que par les valeurs et les convictions, pas par le relativisme et la tiédeur, et je regrette que nous fassions, par peur, ce cadeau en or à MM. Le Pen et Besancenot .

J'ai déjà eu l'honneur d'évoquer la politique et les moyens que j'éstime nécessaires au Gouvernement, et j'aimerais seulement ici, pour reprendre un anglicisme, étendre ma sympathie à M. de Villepin . Voici un homme de grande qualité intellectuelle, pénétré de l'idée de la Nation, qui est poussé par un voeu d'allégeance qu'à son honneur il maintient envers et contre tout, restant dans les rangs de la chiraquie qui faiblit et diminue, l'artisan d'une politique telle qu'elle est désormais faite : une politique apolitique, consensuelle, vide . Le discours de notre Premier ministre, qui publia des recueils de poésie dans une autre vie, a reflété cette terne évolution née de la mort de la conviction . Il porte entier la marque de ceux que j'appelle les « JEB », les jeunes énarques brillants mais apolitiques qui sont aujourd'hui la main d'oeuvre du personnel politique de la chiraquie . Ce discours était cuisiné avec la fade farine de leur rhétorique consensuelle et machinalement malaxé par leurs adjectifs grandiloquents .

J'ai eu le regret d'être le seul à faire remarquer l'ironie—forcément volontaire—qu'il y a pour l'auteur des Cent jours ou l'esprit du sacrifice à déclarer qu'il se donne cent jours pour gagner la confiance des français . Celui-ci a décidé, pour son mentor qu'est cet homme exceptionnel, M. Chirac, de faire sien cet esprit du sacrifice . Cependent, M. de Villepin n'est certainement pas dupe que, en ce qui concerne la dimension de la France face à son destin, son discours de politique au glucose participe au sacrifice de l'esprit .

07 juin 2005

L'euthanasie au cinéma

Nota bene
Je vais évoquer plusieurs films sortis plus ou moins récemment au cinéma et parler du déroulement de leurs intrigues et de leur fin sans vergogne . Si vous ne tenez pas à lire ces descriptions, évitez cet article .


Nos articles récents sont surtout politiques donc nous avons décidé de changer un peu et d'écrire un article sur la culture . Lors des deux dernières années, trois films sont sortis qui abordent le sujet de l'euthanasie, de trois nationalités différentes, de deux réalisateurs connus et d'un confirmé . Ces films sont : Les Invasions barbares de Denys Arcand, Mar Adentro d'Alejandro Amenabar et Million Dollar Baby de Clint Eastwood .


L'affiche de Million Dollar Baby

Les trois films

Mar Adentro, le seul que je n'ai pas vu, est le seul de ces trois dont le sujet central est l'euthanasie . Ce film est une version romancée d'un fait divers, l'histoire de Ramon Sampedro, un espagnol tétraplégique qui engagea une longue bataille procédurière pour être autorisé par les tribunaux à se suicider . Malgré le véritable talent de metteur en scène de M. Amenabar je ne suis pas allé voir Mar Adentro à cause de la mode qu'il défendait sans prétendre défendre . Cet article n'est pas sur l'euthanasie mais sur l'euthanasie au cinéma, mais j'évoquerai ici mon point de vue sur la question .

Les hommes ont le droit de prendre leur propre vie . C'est une décision qui les regarde . La loi doit-elle consacrer ce droit ? Non . La morale est plus exigeante que la loi, et il est bien qu'il en soit ainsi . Je ne retirerai jamais mon respect à un homme ou à une femme qui décide de mettre fin à sa vie dans des circonstances de douleur et de désespoir que je ne peux qu'imaginer . Toutefois, il est plus difficile de garder ce respect pour quelqu'un qui se sent obligé d'aller quémander devant les tribunaux, dont ce n'est pas la mission, une absolution morale pour une action qui, si elle est humainement compréhensible, n'en est pas pour autant formellement excusable . Parfois, la morale—si tant est que l'euthanasie soit morale, ce qu'elle n'est pas—ou l'honneur nous commandent des actions qui sont contraires au droit, et il est bien qu'il en soit ainsi . C'est quand ces choix se posent à nous que notre vraie fibre est révélée . Le bon, l'excusable et le légal sont trois choses différentes . Un droit qui aurait seulement comme objectif de confirmer la morale n'instaurerait plus la « dictature de la loi » républicaine, mais la dictature d'une idéologie .

Le second film que j'aimerais évoquer est peut-être le meilleur film de 2004 : il s'agit des Invasions barbares de M. Arcand . Ce film évoque avec une vraie maturité d'écriture et de mise en scène la déchéance d'un homme qui se croit raté, le héros du Déclin de l'empire américain, et le retour auprès de lui de ses amis et de sa famille à l'occasion de sa mort lente due probablement à un cancer . Ce film a tout : des personnages qui ont une vraie profondeur, de l'humour, une réflexion philosophique et sociale—et de l'euthanasie à la fin . Toutefois, c'est une euthanasie que je peux tolérer : après un bon repas, le fils, avec l'accord de son père, lui injecte une dose mortelle d'héroïne, sans demander d'avis à personne . Les Invasions barbares n'essaye pas de faire de l'euthanasie un combat, mais simplement une décision personnelle et assumée comme telle . Alors que nombre de cinéastes ont de plus en plus recours à des effets de style pour cacher un manque de talent, ce film simple et sans reproches mérite amplement le titre de chef-d'œuvre .

Le dernier film, qui m'a poussé à réfléchir sur le thème de l'euthanasie au cinéma, est Million Dollar Baby, par M. Eastwood, un homme d'une qualité exceptionnelle et qui a certainement du génie en lui . Son film précédent faisait notamment allusion à la pédophilie avec une subtilité, un talent et une douceur qui m'ont transpercé . Il s'agissait de Mystic River, encore un chef-d'œuvre, dans lequel il atteignait un sommet de talent cinématographique qui rappelait Unforgiven et surtout le magnifique Honkytonk Man, un de ses premiers films, peu connu . Sa filmographie me faisait donc penser qu'après le sommet d'artisanat de Mystic River, il continuerait son ascension et que Million Dollar Baby le mettrait dans le domaine du génie, s'élevant au niveau d'une élite composée d'une poignée d'hommes illustres : Hitchcock, Kurosawa, Kubrick...

Emballez, c'est pesé

Malheureusement, Million Dollar Baby ne s'est pas élevé à ce niveau, restant en dessous de son précédent film, son meilleur jusqu'à présent . Million Dollar Baby se présente en deux parties : la première, de loin la plus longue, est une magnifique histoire classique d'une jeune boxeuse (Hillary Swank) qui convainc un excellent entraîneur bourru (Clint Eastwood) qui vit replié sur lui-même dans la peur de toute vraie connexion émotionnelle, de l'entraîner malgré son sexe . Cette histoire est traitée de manière splendide, M. Eastwood utilise les ficelles connues de la narration cinématographique sans les laisser se transformer en clichés, avec une exemplaire maîtrise de son art, mais avec un peu moins d'âme que dans Mystic River . L'histoire prend un tournant brutal lorsqu'un accident rompt le cou de la jeune boxeuse, la rendant tétraplégique .

Les virages narratifs peuvent désarçonner certains, mais pas moi . La vie est souvent faite de ces virages, et bien que le découpage de la réalité que constitue l'art se prête à une structure narrative traditionnelle, j'aime aussi quand l'art reflète les soubresauts incongrus de nos vies . Cependant, M. Eastwood s'est dépêché d'expédier la tétraplégie de son personnage pour conclure par une euthanasie bienvenue . C'est peut-être de là que vient le succès de l'euthanasie au cinéma, plus qu'à un phénomène de mode : cela permet de conclure un film, format limité . L'euthanasie, après tout, c'est pratique .

J'ai eu le privilège d'évoquer l'exceptionnel esprit de détermination que mérite le sport, et cette tétraplégie donnait à M. Eastwood une véritable opportunité narrative : de montrer que le handicap est le dernier match, le dernier round, là où l'obstination de sa protégée qu'il avait si bien montrée dans la première partie pouvait vraiment se développer . Le film aurait quand même pu se finir par une euthanasie, mais non sans avoir montré ce combat inimaginable où la volonté humaine doit montrer toute sa mesure . Si, après ce combat, M. Eastwood avait quand même voulu euthanasier son personnage, je n'aurais pas souscrit à cette vision pessimiste mais je me serais incliné devant son talent .

Toutefois, dans le film, le personnage de Hillary Swank est montré fort, déterminée à rire de son malheur, jusqu'au moment où elle demande abruptement à son mentor de la tuer . Le cas de conscience de celui-ci, s'il dure des semaines dans la narration, est expédié en deux minutes par le film . Ensuite, il abandonne la salle de boxe dont il était propriétaire et s'éloigne dans le coucher du soleil comme un cowboy .

L'euthanasie nécessaire

Apparemment, il aurait été trop difficile pour M. Eastwood de filmer avec honnêteté la complexité du handicap, et la grande force des personnes handicapées, que des valides comme moi ne peuvent qu'imaginer . C'est là que le traitement de l'euthanasie au cinéma nous donne son plus important enseignement : l'euthanasie a un tel succès car nous ne pouvons plus même imaginer que l'on puisse confronter une telle souffrance . Nous ne pouvons plus imaginer que l'esprit humain recèle assez de force pour affronter les épreuves titanesques auxquelles la vie nous confronte parfois . En tant qu'humaniste, en tant qu'homme qui aime l'homme, qui croit en la valeur de l'homme, je ne peux que m'élever contre cette vision de l'homme qui le rabaisse à ce qu'il n'est pas, qui fait de lui un être impuissant, ballotté par les éléments, alors que sa liberté et la volonté lui donne, parfois, la force de combattre les frondes et flèches d'une atroce fortune .

Le charme et la ruse

Ce sont peut-être les deux qualités les plus nécessaires à un homme politique, et celles grâce auxquelles le Rt. Hon. Tony Blair a pris la Grande-Bretagne comme on enlève une femme, lui donnant notamment la meilleure économie d'Europe grâce à un thatcherisme modéré et sans heurts . Si sa récente victoire électorale est une démonstration de son charme, la brève pantomime qui s'est déroulée hier au palais de Westminster est la conclusion d'une délicieuse opération qui démontre sa grande ruse .

Hier, M. Straw, ministre des affaires étrangères, a fait ce que chacun attendait de lui : avec toutes les pincettes et litotes conformes à l'esprit britannique, celui-ci a enterré le projet de référendum britannique sur le Traité instituant une constitution pour l'Europe .

Les Britanniques sont peut-être la nation la plus anti-européenne du continent mais, contrairement à son ami et ministre des finances M. Brown, M. Blair croit au rêve européen . Toutefois, pour éviter que ce problème ne lui nuise lors de sa campagne aux élections de 2005, il botta en touche en promettant un référendum sur le Traité . Cette tactique fut copiée avec beaucoup moins d'efficacité par M. Chirac dans le même domaine, à propos de l'adhésion de la Turquie à l'Union . Toutefois, si M. Chirac a repoussé l'échéance assez loin pour que cela n'influe pas sur le crépuscule de sa vie politique, la tactique de M. Blair avait l'air exactement de cela : une tactique, pas une stratégie . Certes, il retirait aux conservateurs un argument à lui opposer, mais il ne désamorçait pas la bombe, il ne faisait que retarder son explosion .

C'était le sous-estimer : M. Blair avait compris l'impossibilité de faire ratifier ce traité par les vingt-cinq pays, et comptait bien sur un refus ou deux pour lui permettre de faire passer ce référendum à la trappe . Peut-être pensait-il plus au Danemark ou à la Tchéquie qu'à la France et aux Pays-Bas, mais reste que l'apparente tactique maladroite de M. Blair s'est révélée être une stratégie impeccable, qui force l'admiration . En prévoyant le référendum en 2006, M. Blair se laissait tout le temps pour pouvoir retirer le référendum sans avoir l'air coupable, et aussi pour endormir ses ennemis—et amis—politiques : bien qu'il ait déclaré en octobre dernier qu'il compte rester Premier ministre pendant toute la durée de son mandat, beaucoup pensaient qu'il se servirait de cette défaite électorale pour démissionner au profit de son dauphin, M. Brown .

Aujourd'hui, aucun de ces scénarios sauf celui de M. Blair ne se sont déroulés comme prévu, et ce dernier, leader centriste et pragmatique, mais surtout rusé et charmeur, se retrouve ainsi avec toutes les cartes en main au début d'un nouveau mandat . Permettra-t-on à ce citoyen français d'envier les sujets britanniques ?

06 juin 2005

Le sport et l'État

Bravo à M. Nadal ! À la fois meilleur tennisman et meilleur tacticien que M. Puerta, il aura mérité sa victoire au tournoi de tennis de Roland Garros . J'ai été très impressionné par l'exemple de civisme donné par M. Nadal au moment de sa victoire, qui s'est précipité pour aller saluer son roi S.M. Juan-Carlos de Bourbon avant d'aller saluer sa famille .


M. Nadal à l'entraînement, finale de Roland Garros

Photo Nihil Nove

L'on se souvient de la caricature de M. Faizant à l'occasion des Jeux olympiques de Rome, en 1960, où la France avait eu des résultats déplorables . Le général de Gaulle s'y exclamait : « Décidément, il faut vraiment que je fasse tout dans ce pays ! » C'est devenu un lieu commun : la gloire que les états conquéraient sur les champs de bataille, ils vont aujourd'hui la quémander dans les stades . Quel rôle l'État a-t-il dans le sport ? Quel rôle doit-il avoir ?

Le sport et l'école

Le rôle principal de l'État dans le sport est celui de la découverte des talents et de leur entraînement, rôle qui est presqu'exclusivement effectué à travers l'école . Dans le monde, il existe plusieurs systèmes par lesquels les états remplissent cette fonction . Je distingue un modèle libéral, un modèle communiste et un modèle étatique, chacun représenté par une grande nation du sport .

Le modèle libéral est caractérisé par le fait que l'État n'intervient pas directement pour détecter et entraîner ses sportifs . C'est la société civile qui fournit les institutions et surtout l'esprit d'émulation et de compétition nécessaire à l'ascension des sportifs talentueux . Je pense surtout, bien sûr, aux États-Unis, qui ont une longue tradition de compétitions entre écoles et universités . Chaque école a un esprit de corps, une équipe, une mascotte et des majorettes, et chacun de ces éléments est devenu une « icône » de la société américaine, popularisés par autant de séries télévisées se déroulant dans les lycées . L'esprit de compétition qui règne dans la société américaine et leur donne leur puissance s'applique aussi au sport, avec comme première carotte la gloire de la victoire dans les compétitions scolaires et comme carotte lointaine la perspective de la célébrité et l'argent qui vont avec les compétitions sportives de haut niveau .

Aucune création de l'homme n'est entièrement bonne ou mauvaise . Ainsi, si le communisme fut une des pires abjections à avoir frappé l'histoire tourmentée de l'homme, on ne peut lui retirer sa capacité à dénicher et promouvoir les talents : pianistes, joueurs d'échecs, sportifs, et al. La grande surprise des Jeux d'Athènes—avec la piètre performance française—furent les athlètes chinois, à l'excellence robotique, qui vinrent remettre en question la supériorité des États-Unis sur le reste du monde dans le domaine du sport, rappelant l'âge des confrontations de la guerre froide, avec ses nageuses est-allemandes et ses patineuses soviétiques . Dans les pays communistes, l'État—dans un pays communiste l'État n'est qu'une façade et c'est le Parti communiste qui occupe ses fonctions, mais aux fins de cet article je parlerai de l'État pour décrire des institutions souvent non-étatiques—procède à une recherche active du talent sportif . Pour les jeunes sportifs, l'appât est évident : dans un pays de totalitarisme de l'égalité, il n'y a aucune autre perspective pour s'élever . Qui n'a pas vécu dans ces pays ne peut s'imaginer les miasmes morbides de la médiocrité obligatoire, une société fondée sur l'omniprésence du désespoir : quiconque a un talent pour les mathématiques, le violon ou la course à pied fera tout pour échapper à la vie terne et sans espoir promise à ceux soumis à la dictature du prolétariat . Sur ce terreau fertile, la machine communiste recrute et entraîne ses ressources humaines selon un rythme et des méthodes ne visant que les résultats et méprisant les hommes . C'est très efficace .

Le modèle étatique permit à la France d'être longtemps le plus grand pays sportif d'Europe . La mission de l'école, grande institution républicaine s'il en fut, est d'instaurer et de maintenir la méritocratie en permettant aux citoyens talentueux d'exprimer et d'éduquer leurs talents . Le modèle étatique est à mi-chemin entre les deux modèles décrits ci-dessus : l'État ne recherche pas activement les talents, comme dans le modèle libéral, mais une fois que les jeunes talentueux ont fait le choix de cultiver leur talent, l'État dispose de structures faites pour les aider à accomplir ce but : l'on pense notamment au fameux système de « sport-études », qui n'est—comme si souvent dans l'éducation nationale—qu'un aspect d'une nébuleuse de formations proposées, en France, par l'INSEP . La Grande-Bretagne, qui nous devança de peu à Sydney et de loin à Athènes, est probablement devenue le premier pays d'Europe, grâce à un modèle qui partage avec le modèle libéral la tradition d'émulation et de compétition scolaire et emprunte au modèle étatique des institutions d'éducation sportive similaires .

Ainsi, dans le domaine du sport comme dans les autres domaines, l'école républicaine est en désarroi . Le problème ne vient pas d'un manque de moyens ou de personnel : de ce point de vue, l'éducation nationale française est peut-être la mieux dotée du monde . Un problème vient de l'application de ces moyens, mais il faudrait ici se préoccuper d'une foule de dispositions techniques qui sont hors du sujet de cet article . Surtout, ces problèmes techniques ne sont que les symptômes d'un problème plus large et plus grave, qui est celui de la désaffection de l'éducation nationale . L'esprit de l'école républicaine a été perdu : c'est un esprit d'égalité des chances, donc de méritocratie, et donc d'exigence, qui a été remplacé par un esprit d'égalité forcée, donc de nivellement par le bas, et donc de médiocrité . Comment le sport, discipline entièrement orientée autour de la compétition et de l'excellence, ne pouvait-il pas pâtir d'une mentalité aussi délétère ?

Le sport, comme le reste, commence avec l'école . Celle-ci est composée d'hommes et de femmes de grande qualité, et elle a tous les moyens nécessaires à sa charge . Seul lui manque l'esprit républicain d'égalité qui lui est nécessaire pour mériter son titre d'éducation nationale : que cet esprit revienne, et nos sportifs de haut niveau retrouveront l'excellence qui leur appartient .

Les jeux olympiques

Si le sport est notre nouvelle guerre, la France se précipite vers Paris 2012 la fleur au canon . Comme l'immense majorité de mes compatriotes, j'aimerais que les Jeux olympiques de 2012 se déroulent à Paris : je pense aux retombées financières, à l'urbanisme, à l'image de modernité que cela va donner à ma ville dans le monde . J'ai aussi un souhait égoïste : parisien pantouflard que je suis, je ne risque guère de me déplacer pour des jeux olympiques, mais j'aimerais bien assister à un de ces évènements au moins une fois dans ma vie .

J'ai également des doutes, mais ceux-ci ne touchent guère au cœur du sujet . Je me demande également, par exemple, pourquoi construire au milieu du Bois de Boulogne le stade permanent du « Dôme », au lieu d'un stade temporaire comme pour les autres épreuves qui se dérouleront dans le noyau ouest . Une interrogation plus importante est économique : nul ne sait si les Jeux olympiques d'Athènes ont rapporté plus qu'ils n'ont coûté : entre les besoins sécuritaires, la promotion et autres frais, ces grand'messes internationales coûtent de plus en plus cher et n'attirent pas particulièrement plus de visiteurs—à défaut de téléspectateurs . Toutefois, je ne considère pas les jeux olympiques comme une opération économique, et si nous perdions de l'argent à faire de bons Jeux, je ne verrais pas ça comme un échec .

Au moment où j'écris cet article, le Comité international olympique s'apprête à publier un rapport évaluant toutes les villes candidates . Ne comptez pas sur moi pour commenter ce volumineux document technique . Paris est le favori de la course olympique, car elle a reçu le meilleur score—8.5 sur 10—lors de la sélection des cinq villes finalistes . Notre principal adversaire est Madrid, qui partage avec Paris un projet très solide et un fort support populaire . Je pense néanmoins que Paris obtiendra la palme : à mon avis nous avons le meilleur projet, un des plus forts soutiens populaires, et, peut-être surtout, une forte influence au sein des institutions olympiques .

L'obtention et—croisons les doigts—l'organisation des Jeux constitue pour la France un vrai défi . Nous sommes à la mesure de le relever avec brio, mais la question est : sommes-nous à notre mesure ? Il y a souvent une si grande différence entre ce que la France peut faire et ce qu'elle fait... Il faudra pour cela déployer des masses de charme et une capacité d'organisation et de professionnalisme qui nous font si souvent défaut . Je continue cependant à avoir foi en nous .

Le sport et l'esprit

Il est facile aux intellectuels—caste dont j'ai peur de faire partie—d'afficher un mépris jaloux pour les sportifs, qui ne tiennent leur gloire qu'à un physique hypertrophié . C'est se méprendre sur la nature et sur la beauté du sport : surtout à un haut niveau, c'est la force d'esprit qui fait la performance . L'idée qu'esprit et corps sont séparés est une illusion, et la mentalité sportive le montre . Il faut, en sport, un acharnement dans l'effort, et une volonté de briser ses propres limites, qui est un exemple pour les autres activités humaines .Les sportifs sont la plupart du temps des hommes et des femmes d'une grande qualité à cause de cette force d'âme nécessaire .

C'est pourquoi votre serviteur, tout intellectuel enrobé qu'il est, exprime son admiration et son amour pour le sport, pour les sportifs, et pour l'esprit du sport, que l'on gagnerait à appliquer à bien d'autres domaines .

Trop peu trop tard...

Alors qu'il ne fallait plus le faire, M. Hollande a fait ce qu'il aurait du faire dès le début de la campagne : décapiter des partisans du « non » au Parti socialiste, à commencer par MM. Fabius et Emmanuelli . Bien que les nouveaux statuts du PS autorisent M. Hollande à se maintenir sur son tabouret de Premier secrétaire malgré sa défaite, son temps est compté .

Il a fait trop peu trop tard : trop peu car, en excluant les partisans du « non » de la direction mais pas du parti, il ne fait que se garantir des embuscades . M. Hollande, laissez M. Fabius réaliser son rêve de parti social-démocrate et M. Mélenchon poursuivre ses dangereuses illusions de retour à la S.F.I.O. et à l'internationalisme, les choses seront alors claires, ce qui vaut toujours mieux avant une bataille .

Trop tard, surtout, d'abord parce-que M. Hollande aurait du mettre l'ordre dans son appareil politique dès le départ . Ou pas du tout : alors qu'on a eu tort, évincer ensuite ceux qui ont eu raison parce-qu'ils ont eu raison est intenable . La mesure actuelle est le type même de demi-mesures d'hommes inconséquents qui veulent surtout se maintenir, dont l'Histoire nous apprend que leurs auteurs tombent vite .

La question reste de savoir si M. Hollande tombera avant ou après les élections de 2007 : après sa défaite lors d'éventuelles primaires socialistes, ou après sa défaite aux élections présidentielles .

04 juin 2005

Belle erreur !

En plein dans le panneau .

La première prophétie de Nihil Nove se solde par une erreur : nous avions prédit que le « oui » l'emporterait au référendum et, conformément aux pronostics du reste de la presse, c'est le « non » qui l'a emporté . Nous ne sommes tout à fait pas mécontents, d'abord d'avoir eu le courage de garder notre point de vue jusqu'au dernier moment, et enfin du résultat du scrutin : ce référendum n'a pas été une victoire d'un parti, d'un homme ou d'une idée, mais d'un peuple, le peuple français .

Le matraquage médiatique était tel, avec toutes les télévisions hertziennes et tous les grands quotidiens nationaux prenant le côté du « oui », que nous ne pouvions imaginer que les français ne soient pas influencés . C'est une bonne surprise de découvrir que nous les avons sous-estimés .

Le vote « non »

Tout indique que ce vote a vraiment été celui du peuple français et pas celui des parties (ou partis?) qui le composent . Le vote « non » ne fut pas un vote extrêmiste, ou anti-libéral . Par exemple, 25% des sympathisants de l'UDF, parti fédéraliste, ont voté « non », ce qui montre à quel point ce vote a dépassé les divisions . Dimanche dernier, c'est donc un évènement magique qui s'est produit : cette alchimie par laquelle les citoyens, au lieu de glisser dans le dénominateur commun tels une foule, se sont élevés à être plus que la somme de leurs parties et a être un peuple, une entité avec une vraie existence . Ce peuple français qui est le Souverain de notre République, je croyais l'avoir perdu et voilà qu'il se rappelle à mon souvenir alors que je ne l'attendais plus . Pourtant, il ne doit pas y avoir plus de 2% des votants qui ont voté sur le fond du texte . Prises individuellement, les raisons de chacun de voter « non » (ou « oui ») sont probablement stupides, mais pourtant, là est la magie, combinées ensemble, elles forment une réponse juste .

C'est un vote d'abord populaire . Certes, il est populaire en tant que déclaration du peuple français, mais il est également populaire dans le sens que, on l'a remarqué, c'est le vote des pauvres et des désenchantés . Oserai-je le dire ? C'est le vote du tiers-état . On accuse la France de voter hors-sujet en votant contre le Gouvernement et contre la « France d'en-haut » . Peut-être . Toutefois je me permets de rappeler que le peuple français est le Souverain de la République, qu'il répond aux questions qu'on lui pose par les réponses qu'il veut, et que c'est maintenant à la République de prendre acte des décisions irrévocables du Souverain .

C'est un vote, surtout, patriote . Si ce malin de John-Paul Lepers s'était rendu compte de la portée du court passage qu'il a inclus dans son reportage pour Canal + sur le « non », il l'aurait probablement coupé au montage . On y voit un jeune homme, garde de sécurité de son état, suivi par la caméra alors qu'il se dirige vers l'isoloir . Il n'a pas encore décidé ce qu'il allait voter . A sa sortie du bureau de vote, la réponse tombe : il a voté « non » . Lepers lui demande pourquoi. Il ne pense pas qu'il faille faire l'Europe d'après le modèle des États-Unis . Réponse peu convaincante, car celui qui la donne en semble le moins convaincu . Ensuite, la vérité sort, faible, réprimée par tant d'années de culpabilisation : et puis, aussi, un peu, peut-être, pour la France, quoi . Cette phrase fut d'autant plus belle qu'elle fut si timide, presque honteuse, sortie du fond de l'âme couverte par des années d'une République qui refuse d'être fière d'elle-même . Je pense que c'est là la réalité du vote « non », qu'il soit riche ou pauvre, blanc ou foncé, anti-Raffarin ou anti-Chirac, qu'il ait raison ou tort : c'est un vote qui aime la France . L'histoire contemporaine m'avait rarement donné raison d'être fier des français, et ce vote renouvelle ma foi .

Quelles conséquences tirer du résultat du référendum ? J'ai dit qu'après la déclaration du Souverain, c'était à la République de prendre acte . Que faut-il donc faire ? Ce « non » a des conséquences dans deux domaines : la politique intérieure, et l'Europe .

Politique intérieure

La première conséquence de politique intérieure devrait être la démission du Président de la République, pas tant parce-que ce vote a été une attaque contre lui mais parce-que, en s'engageant personnellement pour le « oui », il a montré qu'il était l'homme d'une politique, politique que la France a refusé . Si la France refuse la politique elle refuse l'homme, et celui-ci ne devrait pas même avoir le choix de « se soumettre ou se démettre », pour employer le mot trop répété de la IIIème République . Mais bon . M. Chirac refusant de se démettre, il devra au moins se soumettre : la nomination de M. de Villepin au poste de Premier ministre est un pas dans la bonne direction . Celui-ci est éminement intelligent et qualifié, et il a une grande idée de la Nation . Il fera un excellent Premier ministre s'il y a une volonté politique derrière lui .

Or, il n'y en a pas .

En politique, M. Chirac a zigzagué entre la gauche, la droite, le centre-gauche et le centre-droit . Toutefois, il y a une constante chez cet homme qui a toujours participé des hautes sphères de l'État depuis plus de quarante ans : c'est le refus de l'audace et de l'affrontement . Une politique qui changerait le triste état de la France ne serait qu'une politique audacieuse et qui rencontrerait l'opposition des contre-pouvoirs qui veulent le maintien du statu quo, opposition devant laquelle, depuis les grèves de 1995, M. Chirac a toujours plié, soumettant l'interêt général aux interêts particuliers . Si le rappel à l'ordre de 2002 n'a pas suffi, il n'y a aucune raison que la claque de 2005 change grand-chose, et le retour de M. Sarkozy aux affaires montre une volonté de continuité, alors que le « non » demande une rupture .

Pourtant, cette situation est bien une des rare fois où une politique qui irait dans l'interêt de la France irait également dans l'interêt de M. Chirac . En s'impliquant dans la politique du Gouvernement, mettant tout son poids et tout son charme dans l'action gouvernementale, en passant à la télévision, il redeviendrait ce Chirac jeune et actif que la France a aimé et pour lequel elle a voté en 1995 . En deux ans, il a juste le temps de faire les réformes qui sont nécessaires et de voir le début de leurs effets bénéfiques, s'ouvrant ainsi un boulevard pour la réélection en 2007, car son action dirait par elle-même : « Je vous ai compris, je fais ce qu'il faut, mais j'ai besoin de cinq ans de plus » .

Il battrait ainsi M. Mitterrand, devenant le président au mandat le plus long de la Vème République . Bien sûr, ce serait loin d'être aussi simple : il se heurterait à l'opposition de la gauche, des extrêmes, et probablement également de son propre camp, les partisans de M. Sarkozy qu'il a laissé entrer dans la bergerie . Mais c'est là sa seule chance d'être réélu et de laisser une autre marque dans l'Histoire que celle d'un Président inactif et inpopulaire . M. Chirac est un homme politique d'une qualité exceptionnelle et il a la capacité de surmonter les obstacles qui se dresseraient devant lui s'il en avait la volonté .

Je parle des réformes nécessaires, les voici :
  • Changer les syndicats . La liberté syndicale est un principe fondamental reconnu par les lois de la République, et un grand acquis social . Il n'est pas sujet de supprimer cette liberté, au contraire, mais de l'augmenter . Les français sont très peu syndiqués, et les « grands » syndicats ne représentent donc qu'une minorité des employés, et ne fonctionnent donc que par la confrontation fanatique au lieu de la négociation démocratique . Tout cela va à l'encontre de l'interêt général, de l'interêt de l'État, et surtout de l'interêt des travailleurs que les syndicats devraient représenter . En incitant (ou obligeant) par la loi les employés et fonctionnaires à se syndiquer, le système quasi-mafieux des syndicats tel qu'il existe s'effondrerait naturellement, par la loi la plus forte de l'Histoire : celle des nombres . Bien sûr, ce serait en pratique beaucoup plus compliqué, et j'écrirai peut-être avec plus de détail sur le sujet de la réforme des syndicats . Il reste qu'une réforme visant à démocratiser le syndicalisme serait un grand acquis social et républicain .
  • Refondre le Code des impôts . Pas tant pour les baisser que pour les améliorer . Il existe plus de cent différents prélèvements obligatoires en France ; notre système fiscal est tellement complexe qu'il n'existe pas d'expert des impôts . Il y a des experts de certains domaines fiscaux mais le système est tellement complexe que personne ne peut le comprendre en entier . Il n'est besoin que de quelques prélèvements, pas plus de vingt . Les entreprises dépensent énormément d'énergie pour essayer de faire jouer ce labyrinthe fiscal à leur avantage, se retrouvant dans la situation paradoxale de dépenser des sommes folles pour arriver à en dépenser moins . Cela représente entre 10 et 20% de leur activité économique . Un système fiscal simplifié représenterait une libération vitale de capital pour les entreprises : ce serait comme une baisse d'impôts de 10 ou 20%, mais sans baisser les rentrées pour l'État ! De plus, et surtout, il permettrait des relations ouvertes et confiantes entre les contribuables et l'État : nous sortirions d'un système ou les gens font tout pour ne pas contribuer à la communauté à un système simple, compréhensible, auquel les citoyens seront beaucoup plus aptes à se plier .
  • Simplifier le Code du travail . Il est tellement difficile de renvoyer quelqu'un que les entreprises préfèrent tout simplement ne pas engager . En simplifiant le droit du travail, le gouvernement travailliste de M. Blair a contribué à revitaliser l'embauche tout en maintenant des vraies garanties sociales . La mesure de M. Borloo des chèques-travail est un pas dans la bonne direction . Le Gouvernement de M. Raffarin a allongé le délai pendant lequel l'on peut maintenir une société à son domicile : on se demande bien pourquoi un tel delai devrait exister . L'Economist a parfaitement résumé la question en écrivant : « Il n'y a aucune raison pour laquelle la France ne diviserait pas son taux de chômage par deux en dérégulant son marché du travail . » Il ne s'agirait bien sûr pas de déréguler complètement et de revenir à la souveraineté du contrat dans le domaine du travail . Il s'agirait seulement de prendre acte des faits : en France, on a asphyxié la liberté pour avoir plus d'égalité, et force est de constater que ces mesures n'ont abouti qu'à plus d'inégalités . Il faut, dans le domaine du travail comme dans les autres, un équilibre pragmatique entre protection sociale et liberté d'entreprendre : rétablir la liberté, pour atteindre l'égalité .
On peut bien sûr penser à des réformes plus substantielles mais celles-ci seulement suffiraient à relancer la croissance et l'emploi, donnant à M. Chirac un bilan positif de son action en 2007, et des raisons de recevoir la confiance des français pour un autre mandat . Elles ont beau être faibles en pratique, de telles réformes seraient un séïsme dans le paysage politique et social français, conservateurs tenaces que nous sommes . M. Chirac trouverait beaucoup d'opposition au sein même de son Gouvernement et de sa majorité parlementaire .

Il devrait donc court-circuiter ces oppositions : ces réformes qui relèvent de la loi, il peut les faire voter par référendum . Cela aurait de nombreux avantages . D'abord la défaite de ses adversaires politiques, qui ne pourraient plus prétendre représenter l'interêt général ou la volonté des français, et n'auraient plus qu'à s'incliner . Ensuite et surtout, le retour de M. Chirac au centre de la vie politique, le plaçant ainsi en pôle-position pour la course de 2007 . La ratification du Traité a montré la différence de vues entre la classe politique et le peuple français : M. Chirac, en faisant appel à celui-ci et « non » au Parlement, se montrerait comme un grand homme, qui ne tient pas d'amertume de sa défaite, et comme le champion du peuple, allié avec lui dans une série de réformes court-circuitant cette élite contre laquelle les français ont voté le 29 mai et apportant des réformes qui, je le répète, mèneront à la reprise de la croissance et de l'emploi et à une position de favori pour une réélection .

Une fois réélu grâce à ces réformes légères bien que lourdes de conséquences, il devra, pour se maintenir, prendre acte du fait que le modèle social français ne fonctionne plus, et doit être réformé exhaustivement pour continuer à éxister au XXIème siècle .

Créer une Europe politique

Le nombre de bêtises qu'on a racontées à propos du Traité ! En faire la liste serait trop long, et j'aimerais donc en faire l'ellipse, mais je ne pourrai rien dire sans me heurter à une idiotie . Par exemple : on ne pourra pas renégocier ! Il y a un plan B ! Il n'y a pas de plan B ! Je n'ai toujours pas compris ce que l'on entendait par « plan B », mais je sais une chose : en politique, tout est possible avec assez de volonté et de ruse, surtout pour la France . Il ne s'agirait pas de faire rédiger un nouveau texte par une convention ou une assemblée constituante, il s'agirait de revenir à la bonne vieille négociation entre États . De faire dominer la réalité sur la fiction, les peuples sur les idées .

La France, avec la collaboration d'autant de gouvernements qui voudront partager son projet, rédigerait un nouveau texte . Une fois établi, ce texte pourrait être modifiable et négociable à loisir par les autres pays de l'Union, mis à part les points essentiels sur lesquels la France ne pourrait revenir : c'est là le talent des diplomates, les aléas des négociations... Dans un scénario idéal, après que les gouvernements se sont mis d'accord sur un texte, un référendum européen le ratifierait : tous les citoyens de l'Union votant un même jour, et le nombre de voix seraient comptées à l'échelle européenne . La ratification d'un Traité par vingt-cinq États, surtout si beaucoup votent par référendum est, on l'a vu, impossible : il s'en trouvera toujours un pour dire « non » . Court-circuiter les États et faire appel aux peuples européens serait dans le sens de l'Europe et de la démocratie .

Mais quel contenu donner à ce texte ? La qualité formelle est primordiale : c'était mon grand reproche contre le Traité . Le droit est avant tout affaire de mots, et un texte législatif efficace est un texte législatif bien écrit : Stendhal disait trouver un modèle dans le Code Napoléon . Le Traité est tout à l'opposé d'un tel modèle ! Il comporte tellement de dispositions mal rédigées sur le même sujet, qu'on peut arguer d'une chose et de son contraire en se fondant sur le même texte .

Ce n'est d'ailleurs pas innocent : à qui fait-on appel pour trancher un conflit législatif ? À un juge, en l'occurence la Cour de justice de Luxembourg, qui deviendrait alors un juge constitutionnel incontournable . Ajoutez à cette prérogative la Charte des droits (aussi mal rédigée que le reste) qui lui aurait permis de s'imposer à l'ordre juridique interne des pays dans tout domaine jugé utile, et nous aurions eu un gouvernement des juges . Cette expression de gouvernement des juges est employée à tort et à travers mais, dans ce cas, elle est justifiée . Quand on connaît l'histoire européenne et la jurisprudence de ladite Cour, on sait que ce gouvernement des juges aurait été un gouvernement fédéral . J'ai déjà dit ma méfiance pour le rêve inepte des États-Unis d'Europe, mais même le plus ardent fédéraliste ne voudrait pas de ces États-Unis là—mis à part les fédéralistes qu'on trouve à Bruxelles, Luxembourg et Strasbourg .

Cette mélasse réglementaire européenne ne s'étend d'ailleurs pas seulement au Traité : le plus grand allié de l'Union a été le flou qui l'entoure . Fédération ou confédération ? Celui qui l'arrange le plus quand ça l'arrange le plus . L'administration de l'Union et la Commission qui la dirige se servent du flou pour grignoter toutes les compétences et pouvoirs qu'ils peuvent, sans en assumer les responsabilités quand vient l'heure des comptes . On a voulu arguer pendant la campagne que, justement, le Traité changerait cet état de fait . Le poids du texte seul nie cette assertion . Par exemple, la Constitution du Second Empire allemand traite de choses aussi intemporelles et essentielles au fonctionnement d'un État que l'administration des chemins de fer et du réseau télégraphique . Et pourtant, elle ne fait, comme toute constitution qui se respecte, que quelques feuillets .

Personnellement, je serais prêt à beaucoup d'abandons de souveraineté en échange d'un texte clair, c'est à dire court et bien écrit, et pragmatique, c'est à dire sans pétitions de principes abstraits ni dispositions techniques pleines de détails insignifiants . Bien sûr, ce serait idéal s'il y avait le fond pour aller avec la forme : soumission de la Commission au Conseil doté du pouvoir exécutif et réglementaire, le Parlement avec un vrai pouvoir de contrôle administratif, pas ou peu de judiciaire, une vraie politique monétaire et financière, une vraie politique étrangère, une vraie politique de défense, bref : une vraie politique . Mais la forme sans le fond serait déjà une avancée énorme, car ça signifierait la fin du jeu de l'Union, la fin du flou .

L'on cite trop souvent Nietzsche annoncant la mort de Dieu, en oubliant la suite de la citation : Son ombre continuera à nous dominer pendant des siècles . Le 29 mai, une certaine France, et une certaine Europe sont mortes . Combien de temps laisserons-nous leur ombre nous dominer ?