Nihil Nove

28 juin 2005

Critique : Fijacion Oral

Il n'est pas difficile pour quelqu'un comme moi de voir l'expression « artiste pop » comme une contradiction dans les termes . La musique populaire, surtout depuis l'arrivée de la télévision musicale, ressemble beaucoup plus à un bizness, voire à un dressage, qu'à de l'art . Toutefois il arrive que quelqu'un vienne apposer une exception à cette règle en faisant des chansons aux mélodies résolument aguicheuses mais où l'on trouve néanmoins un vrai travail d'écriture musicale et de réflexion artistique .

C'est ce que l'on trouve dans le nouvel album de la chanteuse Shakira, Fijacion Oral, Vol. 1 . Shakira était déjà très connue en Amérique du sud mais je ne l'ai néanmoins découverte qu'avec le reste du monde lorsqu'elle a sorti son premier disque en langue anglaise, Laundry Service, en 2002 . L'on peut facilement prendre cette belle blonde pour un autre clone de Britney, de la même facture en série de chanteuses-barbies dont la créativité est orchestrée par des réunions d'entreprises . Ce serait pourtant une erreur, car quelques détails cruciaux montrent que Shakira n'est pas complètement ce à quoi elle ressemble de loin .

Il est d'abord facile de voir qu'il s'agit là d'une femme et pas d'une fillette comme les autres lolitas qui virevoltent derrière nos étranges lucarnes . A regarder de plus près cette femme, je n'ai pu qu'être frappé de sa beauté, une vraie beauté avec son charme propre, pas simplement une absence savamment ouvragée de tout défaut et donc de tout caractère . Puisqu'il le faut bien, et probablement aussi parce-que ça lui plait, Shakira n'hésite pas à utiliser sa sexualité comme un appât, mais elle ne danse pas les mêmes chorégraphies interchangables, elle danse avec son propre style, nettement inspiré de son héritage libanais .

Et, surtout, Shakira est une musicienne . Elle sait jouer de la musique, connaît son solfège, sait écrire une chanson, et ça s'entend . Cela s'entendait dans Laundry Service, et je suis heureux de découvrire que cela s'entend dans Fijacion Oral, Vol. 1 .

Depuis son album de 1998, ¿Dónde están los ladrones?, Shakira n'avait plus sorti d'albums en espagnol, et le volume 1 de Fijacion Oral renoue avec sa langue natale . La sortie du volume 2, partie anglaise de l'album, est prévue en novembre aux États-Unis .

La production de Fijacion Oral est bien entendue impeccable, ce qui est aujourd'hui le minimum pour un artiste qui a autant de succès que Shakira, mais pour une fois ces moyens sont mis au service d'une recherche musicale . Shakira mélange les sons, y compris beaucoup de choses que je n'aime d'habitude pas : synthétiseurs des années 80, ragga, accordéons, etc. mais grâce à la subtilité des arrangements le résultat est convaincant et efficace .

Fijacion Oral est un album pop sans complexes, et les mélodies sont assez accrocheuses pour pousser les non hispanophones comme moi à chanter les refrains, si tant est qu'ils ne savent pas qu'on les regarde . Les influences de la pop contemporaine ou de l'enfance de Shakira sont mélangées avec bonheur avec de la bossa, du cha-cha, ou des sons issus presque directement du répertoire des Police—toujours une bonne influence .

Bref, il n'existe peu ou pas de chanteuses pop connues internationalement qui soient aussi intelligentes, ambitieuses, talentueuses ou belle que Shakira, et Fijacion Oral est un vraiment bon album de musique résolument populaire .