Nihil Nove

06 juin 2005

Le sport et l'État

Bravo à M. Nadal ! À la fois meilleur tennisman et meilleur tacticien que M. Puerta, il aura mérité sa victoire au tournoi de tennis de Roland Garros . J'ai été très impressionné par l'exemple de civisme donné par M. Nadal au moment de sa victoire, qui s'est précipité pour aller saluer son roi S.M. Juan-Carlos de Bourbon avant d'aller saluer sa famille .


M. Nadal à l'entraînement, finale de Roland Garros

Photo Nihil Nove

L'on se souvient de la caricature de M. Faizant à l'occasion des Jeux olympiques de Rome, en 1960, où la France avait eu des résultats déplorables . Le général de Gaulle s'y exclamait : « Décidément, il faut vraiment que je fasse tout dans ce pays ! » C'est devenu un lieu commun : la gloire que les états conquéraient sur les champs de bataille, ils vont aujourd'hui la quémander dans les stades . Quel rôle l'État a-t-il dans le sport ? Quel rôle doit-il avoir ?

Le sport et l'école

Le rôle principal de l'État dans le sport est celui de la découverte des talents et de leur entraînement, rôle qui est presqu'exclusivement effectué à travers l'école . Dans le monde, il existe plusieurs systèmes par lesquels les états remplissent cette fonction . Je distingue un modèle libéral, un modèle communiste et un modèle étatique, chacun représenté par une grande nation du sport .

Le modèle libéral est caractérisé par le fait que l'État n'intervient pas directement pour détecter et entraîner ses sportifs . C'est la société civile qui fournit les institutions et surtout l'esprit d'émulation et de compétition nécessaire à l'ascension des sportifs talentueux . Je pense surtout, bien sûr, aux États-Unis, qui ont une longue tradition de compétitions entre écoles et universités . Chaque école a un esprit de corps, une équipe, une mascotte et des majorettes, et chacun de ces éléments est devenu une « icône » de la société américaine, popularisés par autant de séries télévisées se déroulant dans les lycées . L'esprit de compétition qui règne dans la société américaine et leur donne leur puissance s'applique aussi au sport, avec comme première carotte la gloire de la victoire dans les compétitions scolaires et comme carotte lointaine la perspective de la célébrité et l'argent qui vont avec les compétitions sportives de haut niveau .

Aucune création de l'homme n'est entièrement bonne ou mauvaise . Ainsi, si le communisme fut une des pires abjections à avoir frappé l'histoire tourmentée de l'homme, on ne peut lui retirer sa capacité à dénicher et promouvoir les talents : pianistes, joueurs d'échecs, sportifs, et al. La grande surprise des Jeux d'Athènes—avec la piètre performance française—furent les athlètes chinois, à l'excellence robotique, qui vinrent remettre en question la supériorité des États-Unis sur le reste du monde dans le domaine du sport, rappelant l'âge des confrontations de la guerre froide, avec ses nageuses est-allemandes et ses patineuses soviétiques . Dans les pays communistes, l'État—dans un pays communiste l'État n'est qu'une façade et c'est le Parti communiste qui occupe ses fonctions, mais aux fins de cet article je parlerai de l'État pour décrire des institutions souvent non-étatiques—procède à une recherche active du talent sportif . Pour les jeunes sportifs, l'appât est évident : dans un pays de totalitarisme de l'égalité, il n'y a aucune autre perspective pour s'élever . Qui n'a pas vécu dans ces pays ne peut s'imaginer les miasmes morbides de la médiocrité obligatoire, une société fondée sur l'omniprésence du désespoir : quiconque a un talent pour les mathématiques, le violon ou la course à pied fera tout pour échapper à la vie terne et sans espoir promise à ceux soumis à la dictature du prolétariat . Sur ce terreau fertile, la machine communiste recrute et entraîne ses ressources humaines selon un rythme et des méthodes ne visant que les résultats et méprisant les hommes . C'est très efficace .

Le modèle étatique permit à la France d'être longtemps le plus grand pays sportif d'Europe . La mission de l'école, grande institution républicaine s'il en fut, est d'instaurer et de maintenir la méritocratie en permettant aux citoyens talentueux d'exprimer et d'éduquer leurs talents . Le modèle étatique est à mi-chemin entre les deux modèles décrits ci-dessus : l'État ne recherche pas activement les talents, comme dans le modèle libéral, mais une fois que les jeunes talentueux ont fait le choix de cultiver leur talent, l'État dispose de structures faites pour les aider à accomplir ce but : l'on pense notamment au fameux système de « sport-études », qui n'est—comme si souvent dans l'éducation nationale—qu'un aspect d'une nébuleuse de formations proposées, en France, par l'INSEP . La Grande-Bretagne, qui nous devança de peu à Sydney et de loin à Athènes, est probablement devenue le premier pays d'Europe, grâce à un modèle qui partage avec le modèle libéral la tradition d'émulation et de compétition scolaire et emprunte au modèle étatique des institutions d'éducation sportive similaires .

Ainsi, dans le domaine du sport comme dans les autres domaines, l'école républicaine est en désarroi . Le problème ne vient pas d'un manque de moyens ou de personnel : de ce point de vue, l'éducation nationale française est peut-être la mieux dotée du monde . Un problème vient de l'application de ces moyens, mais il faudrait ici se préoccuper d'une foule de dispositions techniques qui sont hors du sujet de cet article . Surtout, ces problèmes techniques ne sont que les symptômes d'un problème plus large et plus grave, qui est celui de la désaffection de l'éducation nationale . L'esprit de l'école républicaine a été perdu : c'est un esprit d'égalité des chances, donc de méritocratie, et donc d'exigence, qui a été remplacé par un esprit d'égalité forcée, donc de nivellement par le bas, et donc de médiocrité . Comment le sport, discipline entièrement orientée autour de la compétition et de l'excellence, ne pouvait-il pas pâtir d'une mentalité aussi délétère ?

Le sport, comme le reste, commence avec l'école . Celle-ci est composée d'hommes et de femmes de grande qualité, et elle a tous les moyens nécessaires à sa charge . Seul lui manque l'esprit républicain d'égalité qui lui est nécessaire pour mériter son titre d'éducation nationale : que cet esprit revienne, et nos sportifs de haut niveau retrouveront l'excellence qui leur appartient .

Les jeux olympiques

Si le sport est notre nouvelle guerre, la France se précipite vers Paris 2012 la fleur au canon . Comme l'immense majorité de mes compatriotes, j'aimerais que les Jeux olympiques de 2012 se déroulent à Paris : je pense aux retombées financières, à l'urbanisme, à l'image de modernité que cela va donner à ma ville dans le monde . J'ai aussi un souhait égoïste : parisien pantouflard que je suis, je ne risque guère de me déplacer pour des jeux olympiques, mais j'aimerais bien assister à un de ces évènements au moins une fois dans ma vie .

J'ai également des doutes, mais ceux-ci ne touchent guère au cœur du sujet . Je me demande également, par exemple, pourquoi construire au milieu du Bois de Boulogne le stade permanent du « Dôme », au lieu d'un stade temporaire comme pour les autres épreuves qui se dérouleront dans le noyau ouest . Une interrogation plus importante est économique : nul ne sait si les Jeux olympiques d'Athènes ont rapporté plus qu'ils n'ont coûté : entre les besoins sécuritaires, la promotion et autres frais, ces grand'messes internationales coûtent de plus en plus cher et n'attirent pas particulièrement plus de visiteurs—à défaut de téléspectateurs . Toutefois, je ne considère pas les jeux olympiques comme une opération économique, et si nous perdions de l'argent à faire de bons Jeux, je ne verrais pas ça comme un échec .

Au moment où j'écris cet article, le Comité international olympique s'apprête à publier un rapport évaluant toutes les villes candidates . Ne comptez pas sur moi pour commenter ce volumineux document technique . Paris est le favori de la course olympique, car elle a reçu le meilleur score—8.5 sur 10—lors de la sélection des cinq villes finalistes . Notre principal adversaire est Madrid, qui partage avec Paris un projet très solide et un fort support populaire . Je pense néanmoins que Paris obtiendra la palme : à mon avis nous avons le meilleur projet, un des plus forts soutiens populaires, et, peut-être surtout, une forte influence au sein des institutions olympiques .

L'obtention et—croisons les doigts—l'organisation des Jeux constitue pour la France un vrai défi . Nous sommes à la mesure de le relever avec brio, mais la question est : sommes-nous à notre mesure ? Il y a souvent une si grande différence entre ce que la France peut faire et ce qu'elle fait... Il faudra pour cela déployer des masses de charme et une capacité d'organisation et de professionnalisme qui nous font si souvent défaut . Je continue cependant à avoir foi en nous .

Le sport et l'esprit

Il est facile aux intellectuels—caste dont j'ai peur de faire partie—d'afficher un mépris jaloux pour les sportifs, qui ne tiennent leur gloire qu'à un physique hypertrophié . C'est se méprendre sur la nature et sur la beauté du sport : surtout à un haut niveau, c'est la force d'esprit qui fait la performance . L'idée qu'esprit et corps sont séparés est une illusion, et la mentalité sportive le montre . Il faut, en sport, un acharnement dans l'effort, et une volonté de briser ses propres limites, qui est un exemple pour les autres activités humaines .Les sportifs sont la plupart du temps des hommes et des femmes d'une grande qualité à cause de cette force d'âme nécessaire .

C'est pourquoi votre serviteur, tout intellectuel enrobé qu'il est, exprime son admiration et son amour pour le sport, pour les sportifs, et pour l'esprit du sport, que l'on gagnerait à appliquer à bien d'autres domaines .