Nihil Nove

07 juin 2005

Le charme et la ruse

Ce sont peut-être les deux qualités les plus nécessaires à un homme politique, et celles grâce auxquelles le Rt. Hon. Tony Blair a pris la Grande-Bretagne comme on enlève une femme, lui donnant notamment la meilleure économie d'Europe grâce à un thatcherisme modéré et sans heurts . Si sa récente victoire électorale est une démonstration de son charme, la brève pantomime qui s'est déroulée hier au palais de Westminster est la conclusion d'une délicieuse opération qui démontre sa grande ruse .

Hier, M. Straw, ministre des affaires étrangères, a fait ce que chacun attendait de lui : avec toutes les pincettes et litotes conformes à l'esprit britannique, celui-ci a enterré le projet de référendum britannique sur le Traité instituant une constitution pour l'Europe .

Les Britanniques sont peut-être la nation la plus anti-européenne du continent mais, contrairement à son ami et ministre des finances M. Brown, M. Blair croit au rêve européen . Toutefois, pour éviter que ce problème ne lui nuise lors de sa campagne aux élections de 2005, il botta en touche en promettant un référendum sur le Traité . Cette tactique fut copiée avec beaucoup moins d'efficacité par M. Chirac dans le même domaine, à propos de l'adhésion de la Turquie à l'Union . Toutefois, si M. Chirac a repoussé l'échéance assez loin pour que cela n'influe pas sur le crépuscule de sa vie politique, la tactique de M. Blair avait l'air exactement de cela : une tactique, pas une stratégie . Certes, il retirait aux conservateurs un argument à lui opposer, mais il ne désamorçait pas la bombe, il ne faisait que retarder son explosion .

C'était le sous-estimer : M. Blair avait compris l'impossibilité de faire ratifier ce traité par les vingt-cinq pays, et comptait bien sur un refus ou deux pour lui permettre de faire passer ce référendum à la trappe . Peut-être pensait-il plus au Danemark ou à la Tchéquie qu'à la France et aux Pays-Bas, mais reste que l'apparente tactique maladroite de M. Blair s'est révélée être une stratégie impeccable, qui force l'admiration . En prévoyant le référendum en 2006, M. Blair se laissait tout le temps pour pouvoir retirer le référendum sans avoir l'air coupable, et aussi pour endormir ses ennemis—et amis—politiques : bien qu'il ait déclaré en octobre dernier qu'il compte rester Premier ministre pendant toute la durée de son mandat, beaucoup pensaient qu'il se servirait de cette défaite électorale pour démissionner au profit de son dauphin, M. Brown .

Aujourd'hui, aucun de ces scénarios sauf celui de M. Blair ne se sont déroulés comme prévu, et ce dernier, leader centriste et pragmatique, mais surtout rusé et charmeur, se retrouve ainsi avec toutes les cartes en main au début d'un nouveau mandat . Permettra-t-on à ce citoyen français d'envier les sujets britanniques ?