Nihil Nove

17 juin 2005

Assia Djebar

Une autre femme à l'académie ! Bien ! Mme Djebar n'a cependant pas été élue—la belle polysémie de ce mot qui signifie à la fois le suffrage du nombre et le choix d'En-Haut !—grâce à son sexe, mais grâce à ses origines . Celui qui était pressenti avant l'algérienne Mme Djebar pour prendre le siège du doyen Vedel était le libanais Amin Maalouf, ce qui montre la fixité et la nature de l'intention de la compagnie .

Certains se plaisent à s'offusquer de la tendance des immortels d'intégrer dans leur Walhalla des personnalités dont le choix pourrait être dû au politiquement correct ou au conformisme . Belle erreur ! A l'occasion de cette élection j'ai eu l'occasion de lire sur l'excellent site de l'académie les discours que s'échangèrent Valéry Giscard d'Estaing et Jean-Marie Rouart à l'occasion de l'acueil sous la coupole de l'ancien président de la Convention européenne . Celui-ci, conformément à la tradition de l'académie, prononça l'éloge de celui qui occupa son siège, l'illustre Léopold Sédar Senghor, saluant notamment sa décence de quitter volontairement le pouvoir, propos piquant dans la bouche de celui qui annonca son refus de quitter ses fonctions dans l'éventualité d'une victoire socialiste aux élections législatives de 1978 .

En réponse à M. Giscard d'Estaing, M. Rouart déclara avec tant de raison que :
L’Académie française, contrairement à l’idée reçue, n’a pas pour but de rassembler exclusivement en son sein les meilleurs écrivains d’une époque, mais de mêler un certain nombre d’entre eux à ceux qui ont honoré la France. Et particulièrement ceux qui l’ont servie.
L'Académie française n'est pas, ne doit pas être une sorte de club, qui ne serait ouvert qu'aux meilleurs écrivains de leur génération, ce bel habit vert devenant une sorte de Prix Goncourt ou d'Oscar « pour l'ensemble de son oeuvre » . La mission de l'Académie est autre, voire Autre .

J'ai déjà dit les sentiments quasi religieux que j'ai pour l'art . Comme le prêtre mais avec une présence divine différente, l'artiste est celui qui, par sa médiation, transforme la nature des choses . Le David de Michel-Ange était du marbre avant et après le ciseau du florentin . Seulement après le ciseau il était du marbre et autre-chose . Avec la langue qui est la nôtre, le rôle des lettres dans notre pays, l'histoire et la culture qui sont les nôtres, ce devoir de prêtre laïc est incarné plus que jamais dans l'écrivain en français . Plus que presque jamais : il est la figure civilisée du djali, du chaman des peuples primitifs, qui ne font pas la différence entre les rites religieux qu'il accomplit et les histoires qu'il raconte, entre sa fonction de prêtre et de raconteur, qui se rejoignent dans sa fonction d'incarner l'identité d'un peuple, non pas devant ceux qui l'écoutent mais devant l'éternité .

Devant cette situation de l'écrivain qui, je le crois, est unique à la langue française, le rôle de cette institution unique qu'est l'Académie est d'incarner rien de moins qu'une certaine idée de la France . Par cela je n'entends pas qu'elle doit avoir un rôle politique ou idéologique . Je veux simplement dire que, ce pays que nous sommes, cette France peut-être éternelle, qui a tout été depuis deux mille ans mais est toujours restée la même, cette France qui est plus que nationalité mais idée de liberté pour tant de peuples, est, par son histoire autant que par sa culture, inextricable de sa langue .

Et que donc, en étant les gardiens de la langue française, les quarante ne font pas un travail technique de grammairiens conservateurs ou même de grands hommes de lettres . Ils sont là parce-qu'ils tiennent une parcelle de l'âme de la France, si tant est qu'une flamme est une parcelle du feu . Donc, ils s'ouvrent avec raison aux étrangers, aux origines différentes, aux deux sexes, aux notabilités et aux grands serviteurs de la France, pour maintenir cette précieuse alchimie que l'on retrouve dans les textes de la compagnie, où toutes ces sensibilités si différentes mais qui ont quelque-chose en commun se retrouvent reliées dans une oeuvre commune .

Mais j'aimerais maintenant écarter cette vision presque eschatologique de l'Académie pour évoquer comment l'un des immortels les plus beaux, dans tous les sens du terme, Jean d'Ormesson, a résumé sa vie pour sa biographie d'académicien, et pour prier que je puisse un jour adhérer à cette description :
Études, voyages, amours. Essais et erreurs. Travaux et postes divers. Académies et distinctions.