Nihil Nove

09 juin 2005

La voix de Pékin

En deux jours, je suis tombé d'accord avec deux communistes . Quand je me mets à tomber d'accord avec un communiste, je suis tenté de m'inquiéter, alors deux !

J'éspère seulement que le lectorat de Nihil Nove prendra ce fait pour preuve que nous ne sommes pas sectaires, ou aussi clairement « à droite » que notre libéralisme—qui n'est que pragmatisme face à l'épuisement de notre liberté républicaine—le laisserait penser .

Le premier communiste était hier M. Boquet, le chef du groupe PCF à l'Assemblée nationale, qui s'exprimait au nom de son groupe à la tribune de la chambre basse de notre Parlement, en réponse au discours de M. de Villepin . Il fustigeait la loi Fillon, dont le contrôle continu favorise les enfants de parents privilégiés et met en peril l'égalité que permet cette bonne institution qu'est le Baccalauréat . Nous sommes d'accord . Il s'est aussi élevé contre le danger que constitue la loi Perben pour les libertés publiques . Il est piquant de voir un homme qui réclame l'héritage d'une idéologie totalitaire se préoccuper des libertés publiques, mais, une fois encore, nous sommes d'accord .

Le communiste d'aujourd'hui est le ministre des affaires étrangères de la Chine populaire, M. Liu Jianbao . Celui-ci a exprimé ses doutes sur le projet de réforme des Nations Unies sur lequel M. Kofi Annan, le Secrétaire général de l'O.N.U., compte certainement pour laisser dans l'histoire une autre marque que celle de son rôle peu savoureux de singe de la sagesse lors des génocides du Rwanda et, aujourd'hui encore, du Darfour . M. Liu n'employa guère les périphrases onctueuses des diplomates vétérans, ou l'épaisse langue de bois des communistes : selon lui, le projet de réforme de M. Annan est un « plan immature » .

Il faisait référence à la disposition de ce projet qui viserait à faire des membres de ce que l'on appelle le « clan des quatre », le Japon, l'Allemagne, l'Inde et le Brésil, ainsi que deux pays africains indéterminés, des membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies . M. Liu, sur ce point, nous sommes d'accord .

M. Annan est dans la douloureuse situation de l'idéaliste qui occupe une position de perpetuel compromis, mais ceci n'excuse pas son illusion de croire qu'en ajoutant des pays de tous les continents au Conseil de sécurité il donnera un surcroît de « légitimité » à cette institution . Si tant est que ce fût vrai, il faudrait que quelqu'un informe M. Annan que légitimité ne signifie pas efficacité, la qualité dont les Nations Unies ont vraiment besoin .

Mettre d'accord les cinq membres du Conseil actuel représente déjà une tâche herculéenne . On le voit, pour reprendre un exemple notoire, à chaque fois que les États-Unis oblitèrent les rafales de résolutions visant à condamner les actions d'Israël en Palestine . Si l'on ajoutait encore six membres à ce Conseil, le relatif immobilisme de l'O.N.U. se transformerait en sclérose .

Le projet de M. Annan comporte cependant plusieurs autres dispositions, qui sont loin d'être aussi—M. Liu a trouvé le mot juste—immatures . La meilleure disposition est celle qui vise à réparer un des grands scandales qui entachent ce qui pourrait être un si joli machin, qui est la fréquentation de la Commission des Nations Unies aux droits de l'homme . Toutes les nations qui bafouent le plus ces droits s'y donnent rendez-vous pour empêcher cette commission d'entraver leurs néfastes activités . Ce serait évidemment une bonne chose de changer ce triste état de fait .

Les Nations Unies sont consumées par les préoccupations technocratiques de, semble-t-il, tous les fonctionnaires supranationaux : d'un côté une corruption et une inefficacité endémiques des organes, et de l'autre un droitdelhomisme évangélique et politiquement correct au goût de guimauve hautement indigeste . Il n'est ni réaliste—ni d'ailleurs souhaitable—que les Nations Unies deviennent un corps avec un véritable pouvoir de coercion pour les États membres . Toutefois, il est dans l'interêt des peuples, et de l'humanité entière, d'augmenter l'efficacité de ce qui n'est, effectivement, qu'un corps à la mécanique lourde et rouillée, mais qui pourrait être un forum pour les nations et un phare pour la défense de la dignité humaine .

Elle est probablement pédante, mais je trouve savoureuse l'ironie qu'il y a à finir un article pro-onusien par une citation du général de Gaulle . Toutefois, ce propos visionnaire que prononça l'homme de l'histoire à Bayeux s'est ici imposé à moi : « Nous avons à déployer, parmi nos frères les hommes, ce dont nous sommes capables pour aider notre pauvre et vieille mère, la Terre. »