Je reviens d'une semaine en Ukraine. J'aurai des pensées plus construites sur ce pays de contradictions. En attendant, laissez-moi évoquer les principales étapes de la journée que je viens de vivre.
Au milieu de la nuit, je suis attablé dans un bar souterrain, invisible de la rue, devant une chope de bière beaucoup trop grande pour mon bien. A ma gauche un Irlandais tenancier de bar à Kiev, devant moi un indien naturalisé néerlandais et à ma droite, un allemand étudiant à Oxford puis à Genève. J'aborde la jolie ukrainienne à côté de moi en anglais baragouiné,
lingua franca de tous les commerces.
Je me reveille à six heures du matin avec une barre au milieu du front pour prendre le taxi pour Borispol, l'aéroport de Kiev. Le taxi sent la moquette sale et le chou, il joue la musique qu'on aime en Europe de l'Est et dans les boîtes françaises de Province. La radio passe "
Voyage Voyage." Sans déconner, Voyage Voyage. Dans mon seul sac, enrobées dans les vêtements devenus radioactifs après ma visite de Tchernobyl, des cartouches de cigarettes pour les amis. Bref, tout va bien:
normalna.
Dans l'avion légèrement jauni d'Ukraine Airlines, j'essaye de baisser le store de mon hublot pour prendre un repos bien mérité. Il se bloque. Je force. Tout le hublot manque de me rester dans la main.
Normalna, normalna.
A Zurich, je visite l'aéroport le plus propre que j'ai jamais vu, glissant sur le granite poli entre les magasins de chocolat et d'horlogerie
duty free pour prendre un avion plus occidental. Je lis les descriptions des montagnes helvétiques dans Chateaubriand en même temps que je les survole. Je mélange sa prose à des regards d'aigle sur les paysages qu'il a vu en piéton: qu'aurait pensé le vieux barde de pouvoir s'envoler si aisément au dessus de cette terre qu'il a tant battue de son humilité et de son génie?
Arrivé à Paris, je prends un journal sur un présentoir. Quand j'étais parti, la réprésentation nationale avait été bafouée par un membre
démagogue qui avait obtenu
gain de cause pour ses bergers, et par le retrait d'une loi légitime face à la détermination de poignées de militants, le garant de l'exécution des lois avait impunément proclamé son refus d'exécuter les lois, et le chef du Gouvernement humilié avait ajouté l'affront à la disgrâce en refusant de se démettre. Une semaine après, quelle révolution a renversé ce régime qui s'est rendu illégitime par son absurdité? Quel soulèvement d'une colère légitime et populaire a dû être réprimé par le pouvoir? Rien Monsieur, rien ne s'est passé, tout est oublié.
Eta normalna.