Nihil Nove

26 novembre 2005

La Nouvelle Marianne?

Une rumeur circule que la prochaine Marianne serait noire. Pourquoi pas, bien sûr, mais je ne peux m'empêcher de penser que ce serait un scandaleux retour du politiquement correct dans un des lieux de mémoire de la République de choisir une Marianne noire parce qu'elle est noire.

Étant donné le climat actuel, il faut mettre cette rumeur en relation avec les propos exprimés par Alain Finkielkraut dans un entretien récent donné au quotidien israélien Haaretz, où il analyse les émeutes récentes comme, du moins en partie, de nature raciale. J'ai déjà écrit mon admiration pour la pensée et les actions de M. Finkielkraut, mais je pense qu'il a tort sur un certain nombre de points.

Je suis d'accord qu'on utilise bien trop souvent l'explication économico-sociale comme un paravent pudique servant à cacher un vrai clivage identitaire, et je pense que M. Finkielkraut est très fin de faire le lien entre les émeutes et, par exemple, les évènements du match France-Algérie. Toutefois, je pense aussi que si l'on avait le courage de régler les problèmes économiques et sociaux de ce pays, par de vraies mesures comme la libéralisation du marché du travail et un service national obligatoire et général, et non pas à coups de crédits étatiques, les autres problèmes seraient très largement en voie de guérison.

Je pense honnêtement que la France n'est pas un pays raciste, du moins pas encore. Nous sommes un pays bourgeois: l'argent ouvre toutes les portes, quelle que soit la couleur de la main qui le possède. Bien sûr, il se trouve en ce moment qu'il y a en France beaucoup plus de mains blanches qui possèdent et de mains bronzées qui possèdent moins, et c'est regrettable que les conditions pour un changement de cette situation, c'est à dire une vraie liberté d'entreprendre, n'existent presque plus dans notre République.

Mais, dans la vie d'un pays, les problèmes raciaux sont peut être la pire des pestes. C'est une maladie qui, une fois déclarée, ne peut jamais se soigner, à cause de sa nature endémique: une fois un foyer réduit, c'est un autre qui se déclare. La race, du moins en politique, n'existe que dans les yeux, et c'est ça sa perversion: lorsque ça compte qu'on est blanc ou noir, ça compte simplement parce que ça compte. Aux Etats-Unis, qu'il le veuille ou non, qu'il veuille endosser cette identité ou non, Barack Obama est le seul sénateur noir. Antonio Villaraigosa est le premier maire latino de Los Angeles depuis le XIXème siècle. Et ça compte qu'il est le premier maire latino, le seul sénateur noir, uniquement parce que la race est un sujet important aux Etats-Unis. Et la race est un sujet important aux Etats-Unis parce que la race y est un sujet important. Une fois que la race devient un facteur, elle pollue le débat politique pour l'éternité.

En France, la race ne compte guère. Mais à force d'en parler, elle risque de compter. Et une fois qu'on aura ouvert cette boîte de Pandore, il sera impossible de la refermer. On me rétorquera un argument que j'utilise moi même, que toute vérité est bonne à dire, qu'il faut pouvoir écrire des choses qui choquent, toutes choses vraies, mais les mots sont des armes. Il faut savoir les utiliser à bon escient. C'est pourquoi, malgré toute la sympathie qu'il m'inspire, je dois signaler mon désaccord avec les propos de M. Finkielkraut.

Quant à la prochaine Marianne? Il est peu probable que cela advienne à cause de sa position politique, mais je voterais pour Claudie Haigneré. Grand médecin, mère de famille, première femme française dans l'espace, puis homme d'Etat. En voilà un exemple! Et voilà quelqu'un qui incarne plus les valeurs de la République que Brigitte Bardot ou Laetitia Casta.