Nihil Nove

06 novembre 2005

Quel avenir pour la Syrie?

L'expérience de la résolution de l'ONU sur la Syrie démontre un adage qu'on pourrait résumer ainsi: « Les États-Unis seuls peuvent presque tout ; les États-Unis et la France ensemble peuvent tout. » Mais maintenant que la volonté politique de ne pas laisser passer l'assassinat de Rafic Hariri existe, qu'en faire?

Sanctions internationales?

Ah, le vieil arsenal onusien... Les sanctions internationales, en pratique, ça serait un embargo. Ca tombe bien, ça rime avec fiasco. Les dictateurs se fichent bien des embargos: ils continuent à bien vivre alors que leurs peuples péréclitent. De plus, faire un embargo à un pays qui a des ressources en pétrole revient à vouloir retenir l'écume de la mer entre ses mains ou, plus pratiquement, à donner le feu vert à un autre trafic de pétrole qui remplira les comptes en Suisse des apparatchiks syriens tout en vidant les caisses du pays. Et, au lendemain du scandale pétrole/nourriture, fournir l'occasion rêvée de nouveaux trafics, c'est jouer avec le feu.

Changement de régime?

Regime change. Si vous tendez l'oreille du côté de Washington, c'est ce dont rêvent les penseurs du département d'État américain. Renverser Bashar El-Assad et la junte militaire qui le tient au pouvoir et installer une démocratie libérale à la place. Il est sûr que sa minorité alaouite qui tient le pouvoir est plus restreinte que le groupe sunnite dont était issu Saddam Hussein, et que sa dictature à papa est moins destructrice que le despotisme fou de l'ancien moustachu de Bagdad, qui ne préserva aucune structure de direction du pays. L'après-Assad serait donc mieux gérable que l'après-Saddam, surtout avec le soutien de la communauté internationale.

Changement d'attitude?

Soyons pragmatiques. Je déteste la dictature de M. Assad, mais faire joujou avec une autre guerre et un autre changement de régime au Moyen-Orient, en ce moment, c'est pour le moins risqué. Quand on prend un dictateur avec la main dans le pot de confiture, on peut lui tirer des concessions. Une des grandes victoires diplomatiques du président des États-Unis, George Bush, aura été de faire rentrer la Lybie dans le concert des nations sans tirer un coup de feu, grâce aux attentats de Lockerbie. C'est peut-être cynique, mais l'attentat qui a tué M. Hariri et vingt-deux autres innocents peut avoir des conséquences positives pour le Moyen-Orient.

La Syrie est un facteur d'instabilité au Moyen-Orient, car elle y soutient tous les mouvements terroristes anti-occidentaux. Certes, elle n'a plus les moyens d'une politique active de terrorisme d'État, mais en rendant ses frontières perméables aux terroristes palestiniens d'un côté, et irakiens de l'autre, elle leur fournit une aide vitale. En effet, ce qui a toujours fait l'efficacité des mouvements de guerilla, c'est l'existence de « havres » où se regrouper, se ravitailler, lécher ses plaies avant de repartir. La Syrie, où les troupes américaines et israéliennes ne peuvent bien entendu pas poursuivre les terroristes sous peine d'entamer une nouvelle guerre, est ce havre pour les palestiniens et irakiens. En obtenant de la Syrie qu'elle ferme ses frontières, la France et les États-Unis pourraient nettement assainir l'atmosphère souvent nauséabonde de cette région.

En plus de cette aide pratique, la communauté internationale pourrait obtenir un changement d'attitude. Je pense par exemple à la rhétorique anti-sioniste dont la dictature de M. Assad fait souvent usage, parce que c'est facile de faire appel à la démagogie arabisante pour se donner un petit surcroît de d'importance. Je pense aux partis d'opposition, que ne font que figure de potiches sous peine d'emprisonnement ou pire.

Je pense surtout à la confiscation des biens de l'État, notamment de l'infrastructure pétrolière, par les alliés claniques de M. Assad, qui est en déchéance depuis. Si des entreprises occidentales pouvaient reprendre en main le potentiel pétrolier du pays, moderniser tout ça, introduire une graine d'économie de marché dans ce pays socialiste, qui amène avec elle l'esprit d'entreprise, l'esprit d'ambition, bref l'esprit de liberté, il y aurait là un vrai changement, souterrain d'abord, certes, mais qui ensuite mènerait probablement à une démocratie beaucoup plus forte et beaucoup plus efficace qu'une démocratie imposée par force d'armes, fussent-elles onusiennes.

M. Assad a fait une erreur tragique en ordonnant (ou en laissant faire, ce n'est pas encore clair) l'assassinat de M. Hariri. Mais la communauté internationale peut retourner cette erreur, et en faire une occasion de renouveau pour un pays dont l'histoire et la culture méritent bien mieux qu'il n'a reçu jusqu'à présent, et pour une des régions les plus turbulentes du monde.