Nihil Nove

31 octobre 2005

De la haute vulgarisation, SVP!

La science... Célébrée au XIXème siècle comme le remède universel aux problèmes universels, elle se révéla au XXème siècle comme le moyen du meurtre universel. Elle dont la course ne s'arrête pas, quels sont ses enjeux au XXIème?

Le problème principal de la science aujourd'hui est un problème pratique: plus elle avance plus elle devient autiste. L'époque des humanistes, des honnêtes hommes, à la fois hommes de sciences, de lettres et de philosophie, est finie. La pratique de la science d'aujourd'hui demande un tel niveau de dévotion dans des domaines si pointus qu'il devient impossible aux scientifiques d'être éduqués dans d'autres domaines, et aux profanes de parler de science sans dire des âneries.

Pourtant, entre les expériences macroscopiques sur la planète et microscopiques sur la vie, il est plus important que jamais que la société civile, et en particulier les penseurs, c'est à dire les philosophes, puissent donner des cadres à la science. Plus je parle à des scientifiques plus je constate cette incompréhension qu'il existe entre nous. Nul ne sait parler la langue de l'autre. Et pourtant les circonstances nous poussent à communiquer, et comme nous ne savons pas bien le faire, il en résulte des malentendus qui, s'ils persistent, pourraient avoir des conséquences dramatiques: prométhées que nous sommes, nous n'arrêtons pas de jouer avec le feu.

La raison de cette incompréhension est qu'il n'existe pas assez de ce que les américains appellent, en français dans le texte, dites-le avec l'accent, la haute vulgarisation. Comme son nom l'indique, la haute vulgarisation est la vulgarisation qui s'adresse aux intellectuels, aux hommes d'esprit non scientifiques. Elle est le terrain sur lequel un dialogue fructueux entre la science et la philosophie pourrait enfin naître.

Il n'existe pourtant que trop peu de haute vulgarisation. D'abord parce que peu de gens peuvent l'accomplir: pour la haute vulgarisation il faut un scientifique de haut niveau qui soit capable de s'expliquer clairement sur la science en général. Animal rare. De plus, et surtout, il faut y être incité. Il n'y a pas de Prix Nobel de la haute vulgarisation.

Et pourquoi n'y en aurait-il pas?

Voilà ma proposition: la Fondation Nobel d'Oslo pourrait indiquer qu'un prix sur cinq ou dix, dans chaque discipline, sera accordé à la meilleure oeuvre de haute vulgarisation. Livres, films, associations, etc. Il importe qu'il s'agisse bien de haute vulgarisation, c'est à dire du travail de scientifique de haut niveau, aussi rigoureux que n'importe quel article de Science ou Nature (ou plutôt pas comme n'importe lequel, car ces magazines publient beaucoup plus de découvertes ridicules que leur réputation ne le laisse suggérer), mais adressé au profane.

La vulgarisation, comme son nom l'indique, souffre d'être accomplie sans trop de rigueur, et surtout par des scientifiques qui ont raté leur vocation. Si l'on dit à propos de l'enseignement : « Ceux qui peuvent font, et ceux qui ne peuvent pas enseignent », on pourrait dire à propos de la science : « Ceux qui peuvent enseignent à ceux qui pourront, et ceux qui ne peuvent pas enseignent à ceux qui ne pourront pas ». Il faut changer ça! Donner aux scientifiques de haut niveau des incitations à la haute vulgarisation!

Et pour ça, il faut utiliser l'appât qui marche le mieux, celui de la renommée et du gain, celui des distinctions, prix et médailles. C'est en créant des prix et des compétitions qu'on poussa des hommes audacieux à construire des avions et à traverser des océans, avec les conséquences que l'on sait.

C'est pourquoi Nihil Nove lance un appel solennel à toutes les académies de renom, à créer ou modifier des prix afin de récompenser les trop rares tentatives d'engager une vraie communication entre le monde des idées et le monde de la science, et de récompenser comme n'importe quelle autre réussite scientifique les initiatives les plus fructueuses de haute vulgarisation.

Plus que jamais la science détermine notre vie, et plus que jamais il faut que l'esprit arrive a appréhender la science. Ca ne se fera pas tout seul. Allons-y!