Nihil Nove

10 octobre 2005

Grande coalition

Comme l'on s'y attendait, les deux principaux partis de la gauche et de la droite allemandes, le SPD et la CDU/CSU, se sont réunis dans une grande coalition. Angela Merkel sera donc le premier chancelier femme de la République fédérale. (AFP)

Je ne peux évoquer les cafouillages dont nous avons été témoins sans les prendre comme un contre-éxemple de ceux qui voudraient troquer notre constitution de 1958 contre une nouvelle. Ce n'est pas qu'en France que les institutions cafouillent, et cette loi fondamentale allemande dont on a dit le plus grand bien reste un régime parlementaire sur le modèle de la IVème République, où les partis, et pas le peuple, font la pluie et le beau temps avec des négociations de couloir.

Notre Constitution est très bonne. Le doyen Vedel disait d'elle avec justesse qu'elle est « pleine de virtualités opposées ». C'est un bouquet de possibles, elle recèle des centaines de portes dont très peu ont été jusqu'à présent ouvertes. Son système a été copié avec succès dans plusieurs pays. De la vingtaine de textes constitutionnels qui ont grêlé sur notre histoire récente, c'est celui qui offre le meilleur équilibre, la meilleure possibilité pour l'État d'accomplir une politique, ce qui devrait être le but des constitutions.

Un système présidentiel, fondé sur la collaboration entre des pouvoirs séparés, ne ferait que titiller l'esprit factieux des français et mènerait au blocage. Quant au système parlementaire, l'on sait quelles en sont les conséquences: tout homme politique qui le propose sérieusement met ses intérêts devant ceux de son pays.

Il n'y a pas dix mille manières de le dire: le coupable du délabrement de nos instutions est Jacques Chirac. Il fut complice de toutes les cohabitations. Toutes les modifications de la Constitution dont il fut à l'origine rabaissèrent la qualité du texte. Son amateurisme dans la direction de l'État a été le ferment d'un esprit général de fin de règne. Le poission a pourri par la tête.

Justement! Il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain! Il suffirait de si peu de choses...

Il faudrait commencer par un régime sec de c'était mieux avant:

  • supprimer le quinquennat. La durée du mandat présidentiel n'est pas pour rien dans la primauté du chef de l'État et dans son rôle d'arbitre institutionnel. La mode est aux mandats plus courts: c'est une mauvaise mode. Sept ans n'est pas de trop pour accomplir une vraie politique. Le rôle du président est aussi fondé sur la possibilité de dissoudre l'Assemblée nationale afin de trancher les conflits par l'appel au peuple — faire coincider élections législatives et présidentielles lui retire cette arme qui est un des éléments clés de l'équilibre des pouvoirs tel que le concoit notre Constitution.
  • supprimer la mention de la décentralisation. Je ne suis pas forcément contre cette idée, mais, par un principe de vases communiquants, élever le principe de la décentralisation au niveau constitutionnel rabaisse la Constitution au niveau d'un document qui se préoccupe de décentralisation.
  • supprimer la parité. En tant que républicain, je trouve cette disposition inégalitaire. En tant que juriste, je sais que la mention « la loi favorise » n'a sa place dans aucun texte de droit, a fortiori un texte constitutionnel. En tant que féministe, je trouve le parti pris que les femmes ne peuvent accéder à égalité des hommes aux mandats éléctifs que si elles y sont aidées par une loi nauséabond.
  • supprimer le Titre XIII et les autres dispositions factieuses. La République est une et indivisible, sauf pour les corses, les calédoniens et les autres populaces? S'ils veulent leur indépendance, qu'on la leur donne. Sinon, qu'ils vivent sous les mêmes lois qu'à Paris. La République a été fondée sur ce principe, ces populations sont devenues françaises par ce principe, et qu'on revienne dessus pour des motifs d'opportunisme politique me rend malade.
  • supprimer la Charte de l'environnement. Aussi surprenant que ça puisse paraître, je suis a priori plutôt favorable à un principe constitutionnel de protection de l'environnement, mais ce document-là est tout simplement mauvais. Rédigé tel qu'il est, il est purement et simplement inapplicable. Il fait une farce des autres documents, eux beaux et puissants, que rappelle le Préambule de notre Constitution.
Une fois le texte revenu à sa pureté pré-chiraquienne, de nouvelles dispositions pourraient intervenir afin de régler les problèmes que son histoire tourmentée ont révélé, mais sans atteindre aux pivots essentiels de son articulation, comme le fait par exemple le quinquennat:

  • prévenir la cohabitation. Permettre à l'Assemblée nationale d'émettre une motion de censure contre le président de la République dans les trente jours suivant une élection législative, et uniquement dans ce délai : ainsi, une dissolution ou une autre élection législative qui se solderait par un désaveu populaire du chef de l'Etat n'auraiet pas comme résultat une cohabitation mais de nouvelles élections présidentielles, comme l'entendait le rédacteur de la Constitution.
  • améliorer la loi. Le manque de qualité des textes législatifs est une gangrène pour l'état de droit et la vie de nos institutions. Il faudrait donc créer un article 34-1, qui déclarerait tout simplement : « Le législateur s'exprime dans la meilleure langue. Le Conseil constitutionnel veille à l'application du présent article. » Dieu sait que ça le démange.
  • augmenter la stabilité. Faire de l'élection par scrutin uninominal majoritaire à un tour des députés, qui donnerait presque tous les sièges aux deux grands partis, un principe constitutionnel. Pour la même raison qu'ils veulent le quinquennat, les gens veulent toujours plus de partis, mais il reste avéré que le bipartisanisme, garant d'une vie politique plus saine, est un signe du passage d'une démocratie à l'âge adulte. Il serait temps.
Voilà. Ma liste est longue, mais elle recouvre peu de choses en somme: seulement des réglages, qui permettraient à la voiture d'avancer mieux, en consommant moins, et sans que la boîte de vitesses ne grince lorsqu'on essaye de passer la troisième. Parce-qu'elle est quand même belle, notre voiture, même si elle commence à se faire vieille, et que ce serait trop dommage de l'envoyer à la casse.