Nihil Nove

30 septembre 2005

John G. Roberts

Encore une fois, j'ai eu tort : la Cour suprême des États-Unis sera au complet pour sa rentrée de la semaine prochaine : John G. Roberts a reçu l'investiture du Sénat pour devenir le chef du pouvoir judiciaire fédéral américain. (Le Figaro, Le Monde)

J'ai déjà évoqué le bilan de cette Cour et de son ancien président, William H. Rehnquist. Parlons d'avenir, et l'avenir c'est John G. Roberts. Qui ça? Eh oui. Si d'autres présidents de la Cour suprême furent d'anciens sénateurs ou même d'anciens présidents, M. Roberts fut un simple avocat au long de sa carrière. Alors, comment fit-il pour être nommé à vie à la tête d'une des trois branches du gouvernement le plus puissant du monde?

C'est simple : M. Roberts est un ninja.

Le ninja est un guerrier médiéval japonais au mythe aussi répandu que déformé dans l'Occident, qui se rend invisible jusqu'au moment où il frappe avant de s'évanouir à nouveau dans l'ombre. M. Roberts, catholique, sympathisant républicain, un des meilleurs étudiants de la faculté de droit de Harvard, a dû décider très jeune, en accord avec l'état-major républicain, qu'il allait un jour être membre de la Cour suprême.

Cet état-major fut en effet secoué dans les années 1980 par le rejet du juge Robert Bork par le Sénat. Celui-ci, professeur de droit, avait écrit tellement d'articles répandant la doctrine ultra-conservatrice de l'originalisme constitutionnel que sa nomination était devenue politiquement impossible.

L'inverse est vrai pour M. Roberts. Sous les administrations Nixon et Reagan il travailla pour le Solicitor General et le White House Counsel, avocats représentant respectivement le gouvernement fédéral et le président. Autrement dit, tous rapports et notes rédigées à cette époque sont présumés ne pas représenter son point de vue mais celui du gouvernement pour lequel il travaillait.

Comme il est traditionnel pour les hauts fonctionnaires américains, une fois la Maison blanche passée à l'autre camp il rentra dans le secteur privé et devint avocat devant la Cour suprême, et fut vite reconnu comme un des meilleurs du pays. Seulement, encore une fois, puisqu'il a travaillé comme avocat, les opinions pour lesquelles il a plaidé ne peuvent lui être imputées.

Lorsque M. Bush nomma une série de juristes à des postes de diverses cours fédérales, ce qui constitue souvent une étape vers la Cour suprême, les noms de certains qui avaient eu des propos politiquement incorrects firent scandale — la nomination de Roberts à la Cour fédérale pour le circuit du District de Columbia passa inapercue. Et, avant sa nomination, Roberts ne fut juge à cette cour que pendant quelques années, et il n'eut donc pas le temps de rédiger des arrêts qui auraient pu provoquer une controverse.

Autrement dit, l'homme qui se présenta devant le Sénat était impénétrable, avec tout pour lui et rien contre lui. Avocat expérimenté, il sut présenter une image d'un homme aussi humble qu'érudit, et danser autour des questions des élus lors de son audition par la Commission judiciaire du Sénat, s'abritant — comme le veut la déontologie de tout juge — derrière un refus de s'exprimer sur des questions qu'il pourrait avoir à trancher. Cette Commission n'eut d'autre choix que de formuler un avis favorable et le Sénat l'entérina par 78 voix pour et 22 contre, le score le plus élevé jamais reçu par un président de Cour suprême des États-Unis.

Il y a quelques décénnies, M. Roberts commença sa vie professionnelle en tant qu'avoué au bureau de M. Rehnquist, qui devint son mentor. Aujourd'hui l'élève a succédé au maître : il est arrivé à son fauteuil comme un ninja.