Nihil Nove

04 octobre 2005

Contre le service minimum

Aujourd'hui n'est peut-être pas le bon jour pour se prononcer contre le service minimum, mais puisque je suis coincé à la maison par la grève (AFP) c'est ce que j'ai de mieux à faire.

Le droit de grève, en plus d'être un principe fondamental reconnu par notre Constitution, est aussi, on nous le répète sans cesse, une exception française. Et contrairement — par exemple — au foie gras, ce n'est pas vraiment une bonne exception. Le problème n'est pas tant qu'on fasse grève tout le temps, mais surtout la manière dont nous la faisons: en préalable aux négociations. Le bras de fer intervient en début de dispute, et pas pour la régler, comme deux gentlemen se tirent le chapeau avant de se tirer au revolver devant témoins dans un sous-bois à l'orée du jour.

Il est également vrai que les syndicats en France sont à la fois pas assez représentatifs et trop puissants, ce qui est anti-démocratique à deux titres.

Il est tout aussi exact que si le pouvoir constituant de 1946 a reconnu le droit de grève il a également demandé « des lois qui le réglementent », et qu'on cherche toujours ces lois.

M'enfin le droit de grève existe quand même!

Une grève ça doit être grave. Ça doit être exceptionnel. Ça doit être scandaleux. Ça doit tirer sur les coutures du tissu social pour voir si ça tient bien. Et si ça tient mal, ça doit le déchirer. Cette loi a l'objectif inverse: celui de banaliser la grève, de transformer ce qui doit être une sorte d'épreuve du feu, de révélateur violent des problèmes d'une société, en un ennui passager. Oui, il faut que je me lève un peu plus tôt ce matin pour prendre un métro un peu plus bondé, bof. Oui, mes cours sont reportés à un autre moment, tant pis. On fait avec, c'est pas grave.

Je comprends que l'UMP, parti fondé sous les auspices de M. Juppé, soit encore traumatisée par les grèves de 1995. Je comprends aussi les avantages électoraux qu'il peut retirer en permettant aux gens de se rendre au travail sans trop de bouchons sur le périph' ou d'attente sur les quais — mais je n'ai jamais été un grand fan de la démagogie.

C'est devenu une habitude de notre Gouvernement de s'attaquer aux symptômes et non aux causes des problèmes. D'un côté j'ai envie de dire qu'il y a quand même progrès: si M. de Villepin aborde mal les problèmes, M. Raffarin préférait les ignorer. Mais je me dirais ça si le Gouvernement n'avait pas pris l'habitude un peu dégoûtante de traiter les libertés publiques comme des dommages collatéraux de ses tactiques mal avisées.

On pense facilement aux politiques sécuritaires de MM. Sarkozy et Perben, mais l'exemple de la Justice est un emblème de ce phénomène. La lenteur et l'inéptitude de notre autorité judiciaire est devenue proverbiale. Je ne sais pas s'il faut le faire au Kärcher, mais il faut nettoyer les écuries d'Augias. Il faut changer la loi, l'organisation judiciaire et les personnes, ou en tous cas leurs attitudes.

Pourtant, au lieu de faire le nécessaire pour régler le problème à la source, M. Clément, le garde des sceaux, préfère entreprendre des réformes procédurales qui mettent en danger le principe du double degré de juridiction, sans parler de ses malencontreuses incursions dans le territoire de la rétroactivité pénale... Réparations périphériques, qui visent à régler les problèmes de la justice, non en faisant le nécessaire pour qu'elle soit plus efficace en arrachant les racines du mal, mais en s'attaquant aux symptômes, séparément, chichement, et tant pis s'il faut balancer quelques libertés publiques aux orties au passage.

Bref, pour revenir à mon sujet de départ, au lieu de s'attaquer au problème de l'influence disproportionnée et du manque de représentativité des syndicats, le Gouvernement préfère noyer le poisson avec son service minimum (pardon, service garanti, c'est pas la même chose, promis juré). Eh bien, je dis non. Vive le droit de grève! Vive les conflits sociaux, parce-que plus il y en aura plus le Gouvernement sera pressé par l'opinion publique de les régler, au lieu d'escamoter le schmilblick. Vive le droit de grève parce-qu'en retirant encore un éxutoire aux habitants de la France d'en bas on les pousse de plus belle vers le vote extrémiste.

Vive le droit de grève, tout simplement, parce-que c'est un principe fondamental de notre République. M. Thibaut et ses acolytes qui ne connaissent pas le vrai sens de ce mot seront surpris qu'un libéral fasse cause commune avec eux — sur ce point uniquement — contre un gouvernement de droite, mais je ne vois pas pourquoi je défendrais la liberté des entrepreneurs et pas celle des salariés.