Nihil Nove

28 septembre 2005

Des droits? Hein? C'est quoi, ça?

Il y a une mode inquiétante dans le monde, un courant politique qu'il conviendrait peut-être de nommer avec un oxymore : libéralisme autoritaire.

On le voit avec le parti Républicain américain, libéral économiquement mais qui encourage son gouvernement fédéral dans une inquiétante boulimie, passe des lois qui restreignent les libertés individuelles comme le PATRIOT Act et crée des juridictions d'exception pour combattre le terrorisme. Je pense au cas de Jose Padilla, citoyen américain capturé sur le territoire américain et détenu indéfiniment sans avoir été mis en examen ou reçu aucun jugement.

De même avec le New Labour anglais, qui n'a certes pas une tradition libérale (ce compliment revient aux libéraux-démocrates, parti de Jeremy Bentham, et aux conservateurs), mais dont la politique économique post-thatchérite est du meilleur effet sur l'économie. Eh bien, le projet de cartes d'identité du ministre de l'intérieur Charles Clarke, un système de fichage des individus le plus exhaustif jamais considéré jusqu'à présent, a été lancé dans la bonne voie par les attentats de Londres, qui ont poussé M. Blair, le Premier ministre, à mettre sur le feu toute une série de mesures d'exception anti-terroristes qu'il espère faire avaler à une Chambre des communes qui sent la fin politique de M. Blair et s'est soudain découvert un tempérament frondeur, en l'accouplant à une loi réprimant sévèrement les propos de haine anti-religieuse : on compense une limitation des libertés judiciaires par une limitation de la liberté d'expression! Qu'est-il arrivé au pays de l'Habeas Corpus?

En Allemagne, quelque soit la majorité qui émerge de leurs désastreuses élections, ça ne sera pas bon. Le parti des démocrates libéraux, parti de protection des libertés individuelle créé après la Guerre s'est réorganisé en parti économiquement libéral, et il y a peu de doutes qu'ils protesteraient vraiment si M. Schröder ou Mme Merkel (ou M. Stoiber?) passaient des lois autoritaires pour combattre le terrorisme, comme ils sont poussés à le faire. Déjà la Cour constitutionnelle fédérale de Karlsruhe a récemment dû censurer une loi permettant la détention illimitée des terroristes présumés.

Quid de la France? Eh bien... La France, qui a mille ans de tradition d'autoritarisme étatique est, des démocraties industrialisées, le pays qui a l'arsenal juridique le plus puissant à opposer aux libertés des citoyens. La simple suspicion vous met vous et moi à la merci d'un appareil qui peut nous emprisonner indéfiniment. Pourtant, au milieu de palpitations de l'opinion publique sur le crime et le terrorisme, le Garde des sceaux (avant de s'en mordre les doigts) a proposé une loi pénale rétroactive. Remarquez, ça fait longtemps qu'il n'y en avait pas eu : la dernière fois, la légitimité de l'État était en exil à Londres et usurpée par le régime de Vichy. Le programme de M. Perben visant à mettre des caméras partout, à surveiller les communications électroniques, ne peut guère porter d'autre terme qu'un flicage des citoyens de la République. C'est le même qui, ministre de la justice, a passé deux lois qui rognèrent les droits de la défense. Quant aux gesticulations de M. Sarkozy, n'en parlons pas!

Alors, la France vit-elle également sous un libéralisme autoritaire? Non, car, si on a l'autoritarisme, on a même pas le libéralisme pour compenser. En fait, il n'y a pas de vraie tradition libérale en France. Malesherbes et Lafayette sont les grands oubliés de notre histoire politique, et les dispositions du Code civil qui permettraient une société contractuelle et libérale ont soigneusement été mordues jusqu'au trognon. Les français aiment-ils la liberté?