Nihil Nove

07 décembre 2005

La loi et l'histoire

Le fameux amendement concernant le « rôle positif de la colonisation » génère l'unanimité : c'est un non-sens de légiférer sur l'histoire. Il est étrange que ce consensus n'éxistât pas au moment des lois Gayssot et Taubira : peut-être parce qu'elles étaient des lois de gauche?

D'abord sur le fond : pour ce qui est du « rôle positif de la colonisation », cette question n'a pas de sens. Tout dépend de la définition qu'on a de « positif ». Je pense que le fait que la moitié de l'Afrique parle français c'est positif, mais c'est un jugement tout à fait personnel. Je pense que l'éxistence d'un Léopold-Sédar Senghor c'est positif, mais combien de ses compatriotes wolof furent-ils tuées par les français pour que lui et tant d'autres sans nom puissent aller à l'école française, et qui peut juger si l'un justifie l'autre? Moralement, politiquement et historiquement, ça n'a pas de sens.

Surtout, sur le débat posé par cet amendement: je suis pour.

Eh oui! Moi, le défenseur de la réctitude républicaine, des organes publics et de leurs fonctions, du bon droit, du domaine de la loi. C'est typiquement le genre d'aberrations législatives contre lesquelles je m'insurge. Et pourtant.

Premièrement, l'amendement en question n'est pas une simple proclamation, contrairement à la loi Taubira: il prescrit l'inscription de ce rôle positif dans les programmes de l'éducation nationale, et c'est là tout le noeud de la question.

Croit-on qu'avant le passage de cet amendement, les livres d'histoires de nos enfants étaient des édifices à la gloire de l'objectivité historique, où René Rémond et Pierre Nora se regardaient amoureusement dans le fond des yeux? Les programmes scolaires sont, depuis Mai 68 (au moins!), nettement à gauche, et ça ne fait pas de mal de réctifier le tir, même si c'est maladroitement fait ici.

De plus et surtout, notre Gouvernement a un ministre de l'éducation nationale. Pas de l'instruction publique ni des beaux-arts. Le but de l'école en France n'est pas seulement d'apprendre à lire, à écrire, et à trouver un boulot, c'est aussi de fabriquer du citoyen. Et on ne fabrique pas du citoyen avec de la commisération et de l'auto-flaggellation. Il faut que nos livres d'école rendent nos enfants fiers d'être Français! Il nous faut du Charlemagne à la barbe fleurie, du Saint-Louis rendant la justice sous un chêne, une frise d'images d'Epinal jusqu'à François Mitterrand et Helmut Kohl se tenant la main à Verdun!

Les livres de Michelet sont, du point de vue de la science historique, de l'arnaque à grande échelle. La glorification de la prise de la Bastille, hold-up crapuleux en réalité, transformé en soulèvement populaire par l'imaginaire collectif, est malhonnête intellectuellement. Mais c'est ça qui a cimenté la République! Le peuple français était royaliste — les élections successives du XIXème siècle l'ont montré, au grand dam des républicains — jusqu'à l'école obligatoire.

Il faut rendre nos enfants fiers de la République, et pour ça il faut leur inculquer une histoire qui montre la grandeur de notre pays. De toute manière, l'histoire apprise aux enfants sera toujours trop simple pour être vraie. Quitte à faire des choix, autant qu'ils soient des choix productifs. C'est pourquoi je préfère que les programmes de l'éducation nationale mettent l'accent sur les actes d'héroïsme et de justice d'hommes comme Brazza et Lyautey plutôt que sur les crimes que, effectivement, nous avons commis, mais qui ne représentent pas ce qu'est la France ni son histoire, en tout les cas pas ce qu'elle doit être dans l'esprit de ses enfants.

Libre ensuite aux historiens de remettre en question ces images d'Epinal, qui ne sont bien que ça: mais vouloir enseigner autre chose aux enfants est illusoire.

Il reste que, comme on l'a observé, cet amendement, tout comme les amnésies et hypermnésies que l'on a constaté, par exemple, au moment du bicentenaire de la victoire d'Austerlitz, l'histoire est devenue en France un enjeu politique. Et je suis pour une fois d'accord avec le reste des commentateurs, ce n'est guère sain.

Cela montre surtout notre manque de référent. Nous avons peur de notre mémoire, mais en même temps elle nous obsède ; c'est un symptôme du malaise de nos institutions. Nous ressentons mal l'histoire de la loi de 1905 car nous avons des problèmes de laïcité. Ce n'est pas seulement en recouvrant la foi en notre mémoire que nous recouvrerons la foi en nos institutions, c'est aussi en les rénovant, et en les rendant à nouveau fidèles aux principes républicains qui en font la beauté et l'efficacité: liberté pour tous, égalité des chances, fraternité des citoyens.