Nihil Nove

05 septembre 2005

Discours de Nicolas Sarkozy

Petite devinette : il était une fois un jeune et ambitieux politicien de droite qui prenait une ligne de droite dure pour se différencier d'un président centriste. Il démissionna du Gouvernement pour se constituer un appareil politique en vue des élections présidentielles.

Nicolas Sarkozy?

Non, Jacques Chirac dans les années 1970. Hier, M. Sarkozy a donné un discours pour fermer l'université d'été de l'UMP. Quoi qu'on pense de l'homme ou de ses idées, le regarder vaut le détour. On est frappé de son talent d'orateur, voire presque hypnotisé par un indéniable charisme. Et si son entourage n'a pas le charme de la vieille garde de la Chiraquie, les Jeb* sarkoziens sont talentueux : son discours était très bien calibré, même s'il annonçait un programme sans surprises :
  • Réductions d'impôts pour les tranches supérieures.
  • Pas de remplacements pour les départs à la retraite des fonctionnaires.
  • Service minimum.
  • Libéralisation syndicale.
  • Autonomie des universités.
  • Discrimination positive.
  • Réforme de la politique agricole commune.
  • Petites piques envers MM. de Villepin et Chirac.
  • Congrès de l'UMP en 2007 qui élira le candidat aux élections présidentielles.
Que penser du discours de M. Sarkozy? Que je n'aimerais pas être un électeur allemand. D'un côté, seule la libérale Mme Merkel peut relancer l'économie allemande. D'un autre côté, la même Mme Merkel est aussi atlanticiste que libérale, et le couple franco-allemand a besoin d'un homme avec les convictions européistes d'un chancelier Schröder, surtout pendant cette période difficile. D'un troisième côté, si j'étais allemand, trouverais-je dans l'intérêt de mon pays de s'allier avec un pays outre-rhénan vers lequel, certes, mon coeur se porterait, mais qui n'a pas montré de volonté politique propre depuis vingt ans?... Oui, je n'aimerais pas être un électeur allemand.

Quel rapport avec le discours de M. Sarkozy? Je n'aime pas être un électeur français. La politique libérale de M. Sarkozy est ce qu'il faut à la France. Ne nous en cachons pas. Au point de sclérose et d'immobilisme auquel en est venu notre systeme (pardon, notre « modèle »), ce n'est plus une question de doctrine économique ou d'appartenance politique, c'est une question de simple bon sens. Cependant, ses déclarations sur la politique agricole commune, sur laquelle je me suis déjà exprimé, et des propos—certes non réitérés pendant ce discours—plutôt atlanticistes, ne me font pas me précipiter pour prendre une carte de membre de l'UMP.

Reste également la question du bilan de M. Sarkozy. Il parle beacoup de réforme, certes. Ca tombe bien: lors de ces dernières années, il a occupé deux ministères qui en ont gravement besoin. Les policiers français travaillent deux fois moins que leurs homologues anglais ou allemands, la police subit une endémie de double emploi, de congés non mérités, alors que tant d'endroits sensibles se meurent d'insécurité par manque de police. La Cour des comptes dénonce depuis des années l'« opacité » règnant au ministère des finances, tenu par une clique qui se partage l'argent et le pouvoir sans contrôle et sans transparence. Que fit M. Sarkozy sur ces sujets? Il fit ami-ami avec les syndicats de la police. Il fit écrire un rapport sur l'état économique de la nation réclamant l'application de son programme, et débarqua ensuite du ministère des finances avant d'avoir l'occasion de l'appliquer.

Je le comprends : on sait ce qui arrive aux ministres qui veulent dégraisser les mammouths. Et je ne me laisse pas d'être surpris que, après qu'il ait renvoyé du ministère des finances le directeur général des impôts, des informations que le service des impôts connaissait sur le patrimoine d'Hervé Gaymard eussent été « fuitées » au Canard enchaîné, avec les conséquences que, encore une fois, l'on ne connaît que trop. M. Sarkozy ronge-t-il son frein, ne cherchant qu'à éviter un scandale avant d'avoir tous les leviers en main, après 2007? Changera-t-il sa politique d'apparences s'il devient président de la République, ou s'en satisfait-il? Il semble que nous le découvrirons...

Un des grands axes du discours de M. Sarkozy fut une volonté de faire revenir la politique au centre de la vie de l'UMP et du pays. En cela il a parfaitement raison. Toutefois, dans ce cas-là, je me demande pourquoi il y avait si peu de politique dans son discours. Oh, de l'économie, il y en avait, et que des bonnes mesures. Mais je pense que, aussi bien pour les hommes que pour les hommes politiques, qui sont ceux sur qui leurs aspirations sont portées, l'économie est un moyen et pas une fin. Il est certes urgent de revitaliser notre économie, de réformer nos codes des impôts et du travail, etc. Une fois, le travail fait, une fois les taux de chômage et de croissance là où ils devraient être, autour de 4%, quoi? Que faire de cette puissance? M. Blair fait s'étendre la patte renforcée par lui du lion britannique sur le continent africain, non pas pour s'en faire un dominion mais pour l'aider à s'extraire de l'horrible sort où l'abjection de nations comme la sienne et la notre l'avait plongée.

Tant de questions se posent au politique!

L'islamisme radical adresse un défi à toutes les nations occidentales, qui sonne plus fort encore aux oreilles de la France qui, grâce à sa minorité musulmane et ses liens historiques avec le monde arabo-musulman, a un rôle particulier à jouer dans cette bataille mondiale des esprits. Nous avons refusé la guerre des Etats-Unis. Que faisons-nous de notre côté? Nous sommes uniquement placés pour inventer et appliquer une doctrine alternative à celle de M. Bush, qui s'attaquerait autant aux sources du terrorisme qu'aux terroristes. Alors que nous avons le terrible pouvoir de modifier sa structure, nous n'avons ni définition ni politique de la vie. L'échec du référendum européen nous donne l'occasion de repenser la construction européenne sur de nouvelles bases.

La République ne s'aime pas. Crime, pauvreté, communautarisme, incivilité, panne de l'ascenseur social... M. Sarkozy prétend certes vouloir combattre ces phénomènes, mais ils ne sont que les symptomes d'un mal plus profond. La discrimination positive, par exemple, est une bonne idée, mais elle ne saurait être comprise que comme une solution temporaire, dans le contexte d'une réforme de notre système éducatif, et pas comme la solution. Ce qu'il faut, c'est une vraie politique de relance de la cohésion sociale. Ce sont les français, surtout les plus pauvres, surtout les immigrés, qu'il faut rendre fiers de leur pays, à qui il faut donner d'urgence du sens. C'est ça qui fait de la politique un art et un service admirables, pas les « émotions collectives » qui firent hier trembler la voix de M. Sarkozy avec des accents savamment dosés.

Sur tous ces sujets, pourtant, le président de l'UMP resta muet. C'est pourtant ça, et pas le service minimum dans les transports en commun, qui va déterminer comment nous vivrons au XXIème siècle! M. Sarkozy réclame un vrai débat politique dans notre pays: qu'il mène par l'exemple!

M. Sarkozy, ministre d'Etat, porte un titre autrefois porté par Richelieu et Chateaubriand. A-t-il la pugnacité de l'un ou l'abnégation de l'autre? Pour l'instant, rien ne le suggère. C'est le problème de faire quoi que ce soit en France : quelque petit sentier qu'on emprunte a déjà vu des âmes illustres, et l'histoire sans cesse regarde par-dessus votre épaule. C'est vrai du politique, et de l'électeur: ceux qui parièrent sur M. Chirac virent leur espoir trahi. Oui, décidément, il ya des fois où je n'aime pas être un électeur français.



* Nihil Nove utilise l'expression « Jeb' », jeune énarque brillant, pour décrire cette nouvelle génération de l'aristocratie républicaine au talent technocratique indéniable mais à la conscience politique nulle.

1 Comments:

  • La France aurait bien besoin du dynamisme de Sarkozy... Maintenant, son libéralisme passera-t-il ? La France acceptera-t-elle davantage cette fois que d'autres qu'on la bouscule un peu ou, en fin de compte, se réfugiera-t-elle dans un discours plus soft, plus concensuel ?

    By Anonymous Anonyme, at 18:12  

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