Nihil Nove

04 septembre 2005

Décès de William Rehnquist

William Rehnquist, président de la Cour suprême des Etats-Unis, est décédé hier soir du cancer de la thyroide. (Le Figaro, Le Monde)

Unique et complexe personnalité que ce conservateur, nommé par M. Nixon à la Cour et nommé président par M. Reagan, au rire facile et à l'esprit vif, qui s'était inspiré d'un costume d'une comédie musicale pour les galons dorés cousus sur les manches de sa robe. Extrêmement intelligent, il était à la fois un des hommes les plus puissants et un des plus discrets de Washington, ville qui n'est pourtant pas reconnue pour la simplicité de ses ambitieux habitants.

L'histoire de la Cour suprême est découpée en tranches qui portent le nom de ses présidents. Ainsi, la période Warren fut marquée par la politisation de la Cour, qui prit toutes ces décisions controversées normalement laissées au Congrès : droit à l'avortement, droits civils, etc. Si M. Rehnquist fut un juge très talentueux, son bilan de président de Cour est bien plus mitigé : c'est sous sa direction que la jurisprudence de la Cour fut la plus fragmentée.

Une pratique, interdite aux juges en France, permet aux juges qui ne sont pas d'accord avec la majorité de rédiger une opinion dissidente. Il n'y eut jamais tant d'opinions dissidentes que sous la direction de M. Rehnquist. Le travail du président est de réconcilier les opinions de ses confères et d'essayer de les pousser à un consensus ; tâche ardue s'il en fut, car le président a peu de pouvoirs sur ses collègues, tous des gens très intelligents aux vues arrêtées.

Toutefois, même à l'époque des décisions controversées des époques Burger et Warren, ceux-ci réussirent à rallier une majorité claire derrière les arrêts de la Cour. Cette tâche du président est très importante, car le système de jurisprudence américain fonctionne sur le système du précédent. Si les juges de la majorité votent pour une partie de l'arrêt mais rentrent en dissidence pour un paragraphe ou deux, sont d'accord avec la majorité mais décident de rédiger leur arrêt à eux malgré tout, etc., comme fut le cas sous la présidence Rehnquist, il ne peut y avoir de précédents forts.

Sur ce front, le président Rehnquist ne remplit pas entièrement sa tâche, et son successeur devra travailler à réctifier le tir. Beaucoup pensent qu'Antonin Scalia, qui croit que la Constitution des États-Unis doit être interprétée d'une manière stricte, comme M. Bush, sera nommé président par celui-ci à la place de M. Rehnquist. Dans ce cas M. Scalia, qui en tant que juge aimait beaucoup rédiger ses opinions à lui, ne semble pas promis à un meilleur travail que son prédécesseur. On parle également du juge Clarence Thomas, encore plus conservateur mais peut-être plus amène que M. Scalia.

Voilà pour le siège de président. Pour ce qui est du siège vacant de la Cour, les républicains se frottent les mains en même temps que les démocrates affutent leurs couteaux : cette mort intervenant après le départ en retraite du juge Sandra Day O'Connor, il revient à M. Bush de nommer deux personnes à la Cour suprême. Étant donné que la plupart des décisions de la Cour qui déplaisent le plus aux républicains ont été prises à des majorités faibles, le remplacement de juges clés par des personnages plus conservateurs pourrait renverser la jurisprudence de la Cour sur des sujets comme l'avortement ou la séparation de l'Église et de l'État. Une fois un nom arrêté par le président, celui-ci doit être confirmé par le Sénat, lequel est dominé par les républicains, mais peut être paralysé par des tactiques de retardement par les démocrates.

M. Bush nomma un véritable ninja au siège de Sandra Day O'Connor : John G. Roberts, jeune avocat qui travailla pour le ministère de la justice sous la présidence de M. Reagan, semble s'être préparé à une nomination à la Cour suprême depuis la fac' de droit (Harvard, bien sûr) en gardant le silence sur absolument tous les sujets sensibles qui pourraient lui interdire la confirmation du Sénat. M. Rehnquist parti, se pose la question de l'autre nom.

Je trouve que, comme juge suprême potentiel, Mary Ann Glendon, professeur de droit constitutionnel comparé à Harvard, sent très bon. Penseur catholique, notamment dans les domaines d'éthique, de bio-éthique et de droits de l'homme, elle fut notamment président du Conseil pontifical sur les sciences et représentant officiel du Vatican à la Conférence des Nations-Unies sur les femmes. Elle fait partie du Conseil présidentiel sur la bio-éthique. Elle possède plusieurs avantages pour une nomination : contrairement à M. Roberts, elle remplace un conservateur et pas un modéré, et risque donc de rencontrer moins d'opposition ; elle n'est pas un juge, ce qui est à la mode pour les nominés à la Cour ; elle vient de Harvard, pépinière de juges fédéraux ; enfin, elle est une femme.

Nous verrons. Une chose est sûre : à sa rentrée en octobre, la Cour suprême des États-Unis ne sera pas au complet pour trancher des litiges sur la plus vieille constitution du monde, du pays le plus puissant du monde.



P.S. (05/09) le Washington Post est d'accord avec moi sur la présidence de M. Rehnquist. Ca fait toujours plaisir.