Nihil Nove

13 janvier 2006

La Constitution selon Sarkozy

Pour moi qui viens de me proclamer son féal, je lui tape beaucoup dessus aujourd'hui... Enfin!

Le sujet que j'ai choisi d'aborder est celui des réformes constitutionnelles que Nicolas Sarkozy a préconisé lors de ses voeux à la presse. Je suis parfaitement d'accord avec cet entretien avec le constitutionnaliste Guy Carcassonne pour TF1.

La grande force de notre Constitution est sa flexibilité, la somme de « virtualités opposées » (Georges Vedel) qui y sont contenues. Certains se plaignent de l'équivoque entre un président « arbitre » (art. 5) et un Gouvernement qui « détermine et conduit la politique de la Nation » (art. 20), mais cette prétendue équivoque est justement une source de liberté: chaque couple exécutif peut ainsi s'agencer selon les personnalités qui les occupent.

La fonction présidentielle

M. Sarkozy veut revaloriser la fonction présidentielle, et c'est tout à son honneur, mais la vraie portée du rôle du président, ne lui était-elle pas conférée par ce mandat de sept ans, qui lui donnait une hauteur et une distance confortable face aux préoccupations électoralistes? Le quinquennat, au sujet duquel il n'y a jamais eu de véritable réflexion, proposé pour des raisons d'opportunité politiques et accepté par peur de la cohabitation (qu'il ne prévient pourtant pas), a très fortement modifié l'équilibre de nos institutions.

Il faudrait donc avant tout faire revenir le septennat. On ne saurait faire passer par le Congrès ce que le peuple refusa, et, afin de faire passer le septennat par référendum, il faudrait donc l'accompagner de certaines garanties.

Permettre à une assemblée nouvellement élue de censurer le président de la République en cas de désaveu populaire, et soumettre les projets de référendum au Conseil constitutionnel afin de déterminer s'ils sont essentiels à la politique du président, auquel cas un refus populaire serait automatiquement accompagné d'une démission.

Ou tout simplement, ce qui d'un point de vue juridique serait préférable mais peut être guère viable en tant que projet référendaire, qualifier expressément de fraude à la Constitution le fait pour un président de se maintenir malgré un désaveu, et de faire rentrer explicitement cette fraude dans la qualification de haute trahison pour laquelle un président peut être mis en procès.

Ainsi, le président désavoué qui refuserait de démissionner serait sujet à impeachment. Il faudrait signaler au passage que cela est d'ailleurs déjà possible aujourd'hui, mais n'a jamais été fait pour cause de manque de courage politique. Si Jacques Chirac avait fait passer François Mitterrand en Haute cour après son refus de signer les ordonnances en 1986, ça aurait fait jurisprudence, et la Vème République s'en porterait bien mieux.

On pourrait aussi et surtout imaginer la possibilité d'un recall, référendum ouvert par pétition des citoyens, qui permet d'ouvrir des présidentielles anticipées. Ainsi, tout comme le Gouvernement est sujet à motion de censure parlementaire, le président de la République serait sujet à motion de censure populaire.

Toutes ces pistes rejoignent la même idée, qui est l'idée centrale de la Constitution de la Vème République, même si je ne la vois guère évoquée par d'autres que moi.

On dit souvent que le président y est irresponsable. C'est une dérive! En fait, le président est responsable, mais uniquement devant le peuple. Dans la Constitution, chaque organe est responsable devant l'organe dont il est issu: le Gouvernement est issu du Parlement, il est donc responsable devant lui. Le président est issu du peuple: il est donc responsable devant lui. Les autres interprétations sont de véritables dérives, car elles touchent au coeur de l'esprit, et pas simplement à ces virtualités et à cette flexibilité que j'évoquais.

C'est au moment où nous oubliâmes cet esprit de double responsabilité que commença l'asphyxie institutionnelle que nous vivons aujourd'hui et qui fait tant parler d'une VIème République.

Le pouvoir législatif

Face à un président fort, il faut un Parlement fort.

D'abord redéfinir les missions du Sénat, conçu à l'époque d'une France rurale et coloniale pour représenter les notables de Province et les peuples d'Outre-mer. Peut-être le faire élire au scrutin proportionnel, afin de donner leurs parlementaires au FN et à la LCR sans mettre en danger la majorité de gouvernement requise à la chambre basse, comme le propose ce prétentieux d'Olivier Duhamel? Plutôt, les faire élire au suffrage universel direct au niveau régional et leur donner de vrais pouvoirs, afin d'en faire une chambre haute puissante et aristocratique, contrepoids pondérateur des soubresauts de la chambre basse, à l'image du Sénat américain.

Ensuite et surtout, abolir toutes ces petites règles, techniques, ennuyeuses mais qui, accumulées, sont en fait comme autant de rêts qui lient absolument les parlementaires et les rendent complètement soumis au fiat du pouvoir exécutif: contrôle de l'ordre du jour par le Gouvernement, irrecevabilité financière de l'art. 40, vote bloqué de l'art. 44, limite de six mois aux travaux des commissions d'enquête, sans parler de la fameuse question de confiance du « 49-3 », etc.

Toutes ces mesures trouvent leur justification dans l'histoire des IIIème et IVème républiques, mais l'histoire avance souvent de manière dialectique, et il suffit de parler plus de deux minutes à un parlementaire pour se rendre compte que nous sommes tombés d'un excès dans l'autre.

M. Sarkozy veut donner un droit de regard au Parlement sur les nominations de fonctionnaires. Est-ce bon? Le diable est dans les détails. Si c'est un spoils system à l'américaine, qui introduit enfin de la transparence et de l'honnêteté dans ces nominations de copains en Conseil des ministres, qui passent de telle administration à telle entreprise publique à tel comité de surveillance de l'élevage des boeufs mérinos dans le Larzac au gré des alternances politiques, très bien. Cela pourrait toutefois accentuer la politisation de l'amdinistration, ce qui ne serait pas bon. Tout ça dépend des modalités d'application.

Il veut également une équipe gouvernementale réduite, d'une quinzaine de ministres, à l'américaine, et il a raison. J'avais fait une proposition plus audacieuse, que chaque ministère soit créé par la loi, limitant ainsi leur nombre aux « grands » (éducation nationale, défense, etc.), et évitant ainsi ces ministres-mobylettes qui ne servent à rien et ne dirigent rien, délégués à l'égalité des chances, à la parité, aux droits des minorités, à l'environnement, à la cuisine, au cagibi et au placard a balais. Surtout, la Constitution prévoirait également à chaque ministère une commission permanente équivalente dans les chambres, ce qui éviterait la dérive des IIIème et IVème républiques dont les commissions pléthoriques sapaient l'action gouvernementale, tout en assurant un vrai contrôle parlementaire sur le pouvoir exécutif, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

Bref, bilan plutôt négatif pour toutes ces réformes proposées par M. Sarkozy, encore que ça soit mieux que du Montebourg. Je suis surtout déçu qu'il aille s'aventurer sur ce terrain. C'était tout à son avantage, à la fois pour la forme et pour le fond, qu'il délaisse ces questions un peu stratosphériques pour se concentrer sur les vrais problèmes, les primordiaux, le chômage, la réforme de l'Etat, la fiscalité. Je suppose qu'il aura voulu se donner une stature plus présidentielle en abordant ces questions institutionnelles, mais je trouve qu'en fait il se rabaisse au niveau d'un Bayrou en se mettant à la queue leu leu et en proposant à son tour ses petites idées constitutionnelles.

Quand il faisait campagne pour le oui, il s'ingéniait pourtant à expliquer à qui voulait l'entendre qu'une Constitution est un cadre, indépendante des aspirations partisanes de ceux qui s'en servent. Qu'il retienne ses propres leçons.