Nihil Nove

24 décembre 2005

Pour Noël, début de retrait américain en Irak

Donald Rumsfeld a annoncé que les effectifs des brigades de combat américaines déployées en Irak allaient être réduits de 7 000 hommes environ au début de la nouvelle année. (Libération, L'Express)

Non, non, non et non! Est-ce donc ça, l'Amérique? On se lance dans un grand projet pour modifier la carte du monde, apporter la démocratie libérale à la région qui en a le plus cruellement besoin, et affronter un des grands enjeux globaux du XXIème siècle (l'islamofascisme et le terrorisme mondialisé) sur son terrain, et, trois ans et deux mille morts après, c'est trop dur, finalement on abandonne?

Deux mille morts, certes, c'est deux mille tragédies, c'est horrible, mais en trois ans de la dernière guerre mondiale, combien de boys sont-ils morts? Combien de morts au Vietnam avant que l'opinion ne se lasse? Combien, surtout, de dizaines de milliers d'irakiens innocents auraient continué à mourir sous la férule de Saddam Hussein, coincés entre le son despotisme fou et l'embargo international, si ces deux mille jeunes gens n'avaient donné leur vie pour eux?

J'étais contre la guerre en Irak quand elle a commencé, pour toute une série de raisons qui avaient moins à voir avec ce qu'on appela alors le droit international (notion qui fait penser à certaines de ces particules de la physique quantique, dont on suppute l'existence par des calculs, mais que l'on a toujours pas réussi à observer dans la nature) qu'avec des considérations géopolitiques liées à l'explosion de cette nation qui n'a tenu jusqu'à présent que grâce à ce que j'appelle le phénomène Tito, c'est à dire un pouvoir fort qui tape également fort sur toutes les minorités disparates qui constituent l'ensemble en question, afin d'assurer l'unité.

Je craignais l'apparition d'un Kurdistan au nord qui entraînerait les autres kurdes, et donc la Turquie (et donc l'Europe), dans ce conflit. Je craignais l'apparition d'un nouveau noyau chiite extrêmiste qui, assis d'un côté sur des armes de destruction massives et de l'autre sur les deuxièmes réserves de pétrole de la planète, aurait pu, avec l'Iran en sous-main, mettre dans cette région (et le mot est faible) un des plus gros bordels qu'on n'y aurait jamais vu. Pour l'instant, j'ai eu tort.

Je craignais aussi et surtout un boulot ni fait ni à faire de la part des américains, qui se seraient lassés d'une guerre trop difficile, tuante (au propre, au sale et au figuré). J'ai bien peur d'avoir eu raison. Et j'ai bien peur que d'avoir raison sur ce point-là, ne mène à des évènements qui me donneraient raison sur le précédent.

Le bilan de George Bush, décidément, aura été en demie teinte. Avec toutes les cartes en main, il aura tout raté. Décidément, la phrase de Napoléon sur la tactique militaire s'applique très bien à la politique: c'est un art simple, tout en exécution.

M. Bush est probablement un homme d'une envergure beaucoup plus importante qu'on lui prête en Europe, mais il a le pêché crucial de déléguer l'exécution à ses subordonnés, et de choisir ses subordonnés plus en fonction de leur loyauté envers lui qu'en fonction de leurs talents. Il n'est pas entièrement blâmable de cela: un chef d'État qui ne s'entourerait pas d'hommes dont il n'aurait pas à douter de la confiance serait, pour le coup, un vrai simplet.

Toutefois, le choix de Harriet Miers, responsable de l'équipe de recherche d'un candidat à la Cour suprême, pour la Cour suprême, ou même le choix de Dick Cheney en 2000, responsable de l'équipe de recherche d'un candidat pour la vice-présidence, ainsi que le refus de virer Donald Rumsfled, pourtant responsable de la plupart des erreurs de gestions de l'après-Saddam Hussein, sont parlants...

Ainsi, M. Bush aura voulu relancer l'éducation dans son pays grâce aux bonnes mesures du No Child Left Behind Act, qui ne restera qu'à moitié appliqué car il ne put pas obtenir les financements nécessaires. Il aura voulu réformer les retraites, et par là le fonctionnement de la société américaine, avec son idée d'ownership society, qui reste jusqu'à présent lettre morte. Il aura réussi (fait inédit jusqu'à présent, et dont on ne lui porte pas crédit) à maintenir le dynamisme de son pays malgré une rafale de trois crises économiques graves et successives (la bulle Internet, le 11 septembre, Enron) grâce à des baisses d'impôts drastiques, mais comme il aura échoué à réduire la dépense fédérale, ça aura été au prix de déficits énormes. Au moins les déficits de l'ère Reagan se justifiaient-ils par la course aux armements face à l'Union soviétique, mais les coûts militaires ne représentent aujourd'hui qu'une partie mineure du déficit des États-Unis. M. Bush aura échoué à réduire la manie dépensière du gouvernement fédéral, alors même qu'il est censé être contrôlé par des républicains ultra-libéraux qui récitent chaque matin au réveil le credo du small government.

Il me fait penser à cette gravure de Dauzier, sur les gens de justice, où un avocat explique, la mine compassée, à un bourgeois attristé à qui il avait promis une victoire facile: Perdu, Monsieur, perdu sur tous les points... Il aura lancé la bataille sur tous les champs, attaqué partout, et obtenu des demies victoires partout, par un mélange de lâcheté, d'imprévoyance, d'une certaine mentalité déchirée entre l'idéalisme intellectuel le plus farouche, et le pragmatisme politicien le plus gluant.

Le seul succès de son passage à la Maison-Blanche aura été la guerre en Irak. Quoi qu'on en dise, il aura réussi à écarter Saddam Hussein du pouvoir, et, d'éléctions réussies, en adhésion des sunnites au processus politique, en marginalisation des terroristes par leurs attentats contre les civils « collaborateurs », la situation s'améliore de jour en jour.

Il ne suffirait que d'une chose pour que cette pente ascendante se pérénnise et mène à l'établissement d'un État irakien, souverain et démocratique, capable d'assurer l'unité par lui-même: une présence américaine renforcée. Pendant encore un an, deux ans, bref jusqu'en 2008, la capacité américaine de maintien de l'ordre, combinée avec la tendance (inhérente) des terroristes à se marginaliser et à s'étouffer eux-même, et avec la fin de la mise en place d'une nouvelle armée irakienne, capable de faire son métier toute seule, le pari pourrait être gagné.

Mais pour cela il ne faut pas faiblir. Il faut que M. Bush, quitte à perdre tout le reste, tienne bon sur l'Irak. Les néo-conservateurs qui l'entourent sont partis d'un postulat bien simple: un rôle dominant de l'Amérique dans le monde est bon pour l'Amérique, et bon pour le monde. Jusqu'à présent, l'histoire leur a donné raison: qui sait comment les guerres mondiales et la Guerre froide auraient tournées sans le secours providentiel, puis le leadership américain. Seulement, si l'Amérique prétend, comme Atlas, endosser des responsabilités mondiales, ils ont un devoir de les maintenir jusqu'au bout et pas, ayant déclaré qu'ils mèneraient le bateau à bon port tous seuls, sautant par-dessus bord à mi-chemin.

Quels qu'aient été les mérites sur le fond de leur entreprise, les américains sont aujourd'hui tenus par l'honneur de rester en Irak. Qu'ils montrent que leur société est une des dernières où cette notion désuète a encore cours.