Nihil Nove

09 janvier 2006

Les néo-pétainistes

Dorénavant, lorsque vous chercherez à décrire, par exemple, José Bové, ou encore le président de la République, ne dites plus alter-mondialiste, dites néo-pétainiste. En effet, il est impossible de ne pas remarquer les traits saillants que ce mouvement a en commun avec celui de la révolution nationale du maréchal Pétain. Parmi lesquels...

Le refus de la modernité et le retour à la nature

C'est le point commun le plus évident. Tout comme le maréchal Pétain, les alter-mondialistes voient la modernité comme un phénomène qui dénature l'homme. La logique de marché, la consommation de masse, la compétition économique, tout cela est vécu comme une aliénation intolérable. La solution? Faire abstraction de la modernité et revenir aux « vraies valeurs », c'est-à-dire la terre, la nature.

Ainsi on peut voir un groupe comme Tryo chanter un « Hymne de nos campagnes » avec un refrain qui ne trompe pas: « C'est l'hymne de nos campagnes/De nos rivières, de nos montagnes/De la vie man, du monde animal ». A part le « man », 2006 oblige, cet appel à la vie champêtre aurait pu être écrit en 1942.

Il s'agit avant tout de se rebeller contre l'esprit des Lumières qui fait de l'homme, et donc de sa liberté, la norme principale. Dans le pétainisme c'est la race qui importe et dans le néo-pétainisme c'est la nature, mais le principe reste le même: on fantasme une « Nature » ou une « Race » qui n'a guère de rapport avec ce qu'est la nature ou la race dans les faits, dont l'homme est issu, à qui il doit tout, mais qu'il trahit en faisant exercice de sa liberté. L'homme doit donc abandonner sa liberté au profit de cette Mère nourricière, et défendre sa race, défendre la nature contre cette modernité envahissante, qui nous fait perdre nos repaires, qui risque de la détruire ou de lui faire perdre son sens ancestral.

Ce refus de la modernité se fait aussi de pair avec un refus du christianisme qu'il importe de signaler. Le christianisme, en tant que religion du Dieu qui se fait homme pour l'homme, est évidemment incompatible avec une idéologie qui voit l'homme libre comme une menace pour son environnement. Si le nazisme se référait à un paganisme pseudo-wagnérien et la révolution nationale à la francisque, c'est-à-dire l'arme des Francs d'avant le baptême de Clovis, le néo-pétainisme ressemble beaucoup à un animisme dans sa vénération des « forces de la nature », qui interprète facilement tsunamis et tremblements de terre comme une défense justifiée de la Nature contre l'homme qui l'agresse.

L'intention est en tous les cas la même: revenir à un avant-Jésus Christ, avant ce Dieu étrange qui, depuis le jardin d'Eden jusqu'à celui de Gethsémani, veut avant tout sauver l'homme de son pêché, avant ce Dieu qui se dit Verbe, logos dans les Évangiles, c'est à dire un Dieu qui, comme le signalait Jean-Paul II dans son encyclique Fides et ratio, est un Dieu de foi mais aussi un Dieu de raison, donc un Dieu moderne.

Le refus de l'autre et la xénophobie

En apparence, les néo-pétainistes sont plutôt xénophiles. Ne sont-ils pas les premiers à manifester pour la légalisation de la situation des sans-papiers? Certes, mais uniquement parce qu'ils sont vus comme des victimes de cette modernité qu'ils combattent. En réalité, le néo-pétainisme, tout comme son ancêtre de l'Occupation, génère automatiquement un repli sur soi.

On l'a bien vu au moment du sommet de l'OMC où ces prétendus défenseurs du Tiers-monde se trouvaient dans la difficile position de manifester en faveur de protections économiques qui défavorisent en premier lieu les agriculteurs du Tiers-monde, ceux pour lesquels des prêtres catholiques comme Max Havelaar agissent pour les sortir de leur dénuement. En fait l'étranger c'est l'américain, l'« anglo-saxon », le costume-cravate, le VRP de cette mondialisation qui, en tant que phénomène d'ouverture issu de la modernité, est évidemment néfaste.

Et, tout comme le premier pétainisme, le néo-pétainisme ne s'émeut guère de la mort d'innocents. Ils sont en effet fiers de leur combat acharné contre les OGM alors que justement ces cultures moins assoiffées et plus résistantes sont le meilleur espoir pour mettre fin à la famine dans les régions les plus pauvres d'Afrique.

Peu importe que le protectionnisme, le refus de l'ouverture au monde et à la modernité ne soient les causes du chômage et du mal-être français. Ce qui compte avant tout c'est l'idéologie, Mère nature, qu'il faut servir, quelques soient les conséquences.

On voit donc bien que, contrairement à ce qu'ils prétendent, les néo-pétainistes ne travaillent pas du tout pour le bien commun — valeur moderne et évangélique — mais bien uniquement pour eux, dans un repli identitaire, frileux et xénophobe. Refus de la modernité, refus de l'autre, voilà les traits communs entre l'« alter-mondialisme » et le pétainisme, qui en font un véritable néo-pétainisme.