Nihil Nove

08 février 2006

Outreau

Au moment où le juge Fabrice Burgaud va être entendu par la commission parlementaire sur l'affaire d'Outreau, je pense qu'il est temps que je m'exprime sur cette affaire, et notamment sur ses conséquences. Quelles propositions faire?

Faut-il supprimer le juge d'instruction? Non. Le système inquisitoire est le bon, car il est une garantie d'équité entre les parties. On a reproché à l'affaire d'Outreau d'être un exemple de la « justice des pauvres », et c'est vrai. Mais justement, l'alternative, le système accusatoire, un système où, si les accusés veulent des contre-expertises et des contre-enquêtes, il faut pouvoir payer des détectives et des experts. Et sinon, tant pis. Il faut que les enquêtes policières soient faites sous la direction d'un juge.

On dit que le juge ne doit pas juger seulement à charge mais également à décharge, mais c'est déjà son rôle. On a entendu dire qu'il faut séparer la fonction d'enquête du juge et celle de décider de la détention, et c'est vrai, mais il existe pour cela le juge des libertés et de la détention. Ce que je veux dire, c'est que notre droit pénal est bon. Alors, pourquoi les abus?

Le problème, c'est que ce bon droit est peu ou mal appliqué. Le juge des libertés est censé être un contrôle des pouvoirs de détention du juge d'instruction, mais comme ils se connaissent, qu'ils occupent à tour de rôle leurs postes respectifs, le juge des libertés va tout autoriser au juge d'instruction sans y regarder de près. Et le reste à l'avenent. Le problème n'est pas juridique, mais humain. Alors, que faire?

Ma solution est notamment de supprimer l'École nationale de la magistrature. On entend souvent parler de la suppression de l'ENA, l'École nationale d'administration, et on lui reproche alors de formater l'esprit de jeunes hommes qui vont accéder aux responsabilités dès leur sortie de l'école et faire toute leur carrière dans des corps où, détachés de la réalité, ils prendront des décisions tout aussi détachées de la situation concrète. Le reproche est d'autant plus valable pour les magistrats que pour les hauts fonctionnaires.

Recrutons les magistrats sur diplômes (maîtrise de droit) et sur concours, à partir de quarante ans. Bachelier à 15 ans, je suis un ennemi farouche et de principe des limites d'âges, quelles qu'elles soient, mais pour la magistrature, elles se comprennent. Le critère principal doit être l'expérience de la vie. Il faut également donner à ces magistrats des conditions de travail beaucoup plus attractives qu'à l'heure actuelle. Ca passe par des salaires élevés, au moins le double de ce qui existe à l'heure actuelle.

Ca passe aussi par de bonnes conditions de travail. Aujourd'hui, les juges sont obligés de faire du travail administratif. Ce n'est pas leur rôle! Dans la plupart des pays, les juges sont des chefs d'équipes, entourés de collaborateurs, chargés de faire le travail administratif, de préparer tout ce qui est préparable, pour qu'il se consacre à la tâche qui est la sienne: juger. En France, ceux qui sont censés jouer ce rôle d'assistance au juge, les greffiers, ne font rien, ou presque: supposés collaborateurs, ils sont en réalité des secrétaires. Et le gros du boulot tombe sur les épaules du juge, ce qui, dans un contexte d'explosion judiciaire, mène à un surmenage inutile et dangereux.

Alors, comment faire? Les greffiers sont paresseux parce que fonctionnaires. Externalisons le greffe! Ce fut le cas pendant très longtemps, et ça marchait bien. Que les greffiers deviennent des professions libérales, et que chaque juge puisse engager un cabinet ou une équipe qu'il juge (justement) la meilleure, pour l'entourer et l'aider à faire son boulot.

Et, enfin, il faut rendre les juges responsables. C'est la quadrature du cercle: l'inamovibilité du juge est une garantie indispensable d'indépendance, mais il faut pourtant un mécanisme pour punir les fautes. Encore une fois, notre droit dans ce domaine est bon et arrive à faire l'équilibre entre ces besoins. Et encore une fois, le problème est qu'il n'est pas appliqué. Pourquoi? D'abord par corporatisme: les juges se serrent les coudes. Mais aussi et surtout parce que la profession judiciaire, qui autrefois refusait par discipline et sens du devoir de se syndicaliser, est maintenant noyautée par des syndicats de gauche. Et si les gesticulations de syndicats de gauche dans le domaine des transports ou de l'électricité peuvent être irritantes, leur travail de sape lorsqu'il s'agit d'apporter de la justice à la Justice est tout bonnement dégueulasse.

Donc, interdisons les syndicats de magistrats. Ca peut faire bondir, mais songeons que les syndicats sont déjà interdits dans le corps préfectoral et dans l'armée, parce que l'on considère avec raison que dans les services publics les plus essentiels de l'État le devoir du service de l'intérêt général est plus fort que le droit à la revendication. Je trouve que les juges sont aussi essentiels que les préfets, la justice aussi essentielle que la police, et que la règle qui permet l'efficacité des uns devrait s'appliquer aux autres.

A chaque fois que l'on veut sanctionner une faute d'un magistrat, aussi grave puisse-t-elle être, les syndicats se lèvent et font un esclandre. Le magistrat fautif est muté, et on n'en parle plus. Assez! Laissons les juges se faire justice. Laissons le Conseil supérieur de la magistrature faire son travail.

Bref, voilà quelques pistes de réforme qui, à mon avis, s'attaquent plus au noyau du problème, les hommes, les habitudes, les esprits, au lieu de vouloir recuisiner notre droit qui, finalement, n'est pas si mal que ça.