Nihil Nove

15 décembre 2005

Putain Kong!

Telle était le titre de la une de Libération lors de la sortie du film. Je fus bien entendu choqué de cette vulgarité qui semblait peu nécessaire. Jusqu'à ce que j'aie vu le film.

Effectivement, après ces trois heures qui passent en coup de vent, cette paire de claques visuelles, ce film d'aventures au rythme téméraire, on n'a guère d'autre manière de s'exprimer: putain Kong!

Mises à part les scènes d'action, qui sont tournées avec tout le talent que Peter Jackson a su y mettre au moment du Seigneur des anneaux — la scène du combat entre King Kong et trois dinosaures vaut à elle seule le prix du ticket —, ce que ce film réussit et que les autres grandes productions hollywoodiennes font rarement, c'est présenter beaucoup de personnages et les rendre tous attachants.

Dans la plupart de ces super-productions, mis à part deux ou trois personnages principaux (et encore!), tous les autres personnages sont oubliés dès qu'ils ne sont plus à l'écran. Ici, chacun a une réelle complexité, j'ai senti qu'ils avaient une vraie histoire même si le film de s'y attardait pas, emporté qu'il était dans ses évènements extraordinaires.

C'est un vrai film d'aventure. On suit une équipe d'explorateurs récalcitrants, mais qui explorent néanmoins car ils ont plus à perdre dans la civilisation que dans l'Île du Crâne où ils se sont échoués, s'aventurant dans un monde né des fantasmes accumulés dans l'imagination fertile de Peter Jackson depuis qu'il a vu le premier King Kong enfant, avec des ruines gigantesques de civilisations passées, une tribu de sauvages tout à fait méchants, des dinosaures, et toute une série d'animaux géants — en plus du gorille.

Mais, malgré les plans de caméra qui vous font remonter le diaphragme dans la glotte, traversant toute l'île pour lier le personnage masculin principal à sa belle enlevée, malgré les chauve-souris géantes et les cafards géants, ce qui fait que le film a l'impact d'un coup de poing dans le ventre, c'est que pendant toutes ces péripéties, on s'identifie aux personnages.

Au moment où untel échappe pour la troisième fois à une mort certaine en se raccrochant à une liane pendue au bord du précipice, ce qui provoque le soupir d'angoisse et de soulagement n'est pas tant le découpage et le montage, mais l'identification que l'on éprouve pour le personnage en question.

Et n'importe quel étudiant en cinéma vous dira que c'est ça le cinéma: l'identification à des personnages. Si on s'identifie à un personnage, on oublie le monde pendant quelques heures, et on ressort avec des séquelles qui dureront une vie. Sinon, on « décroche » et on s'ennuie à regarder des images mouvantes, aussi belles soient-elles.

L'identification est le seul objectif que doit rechercher un réalisateur, et le seul critère que doit employer le critique. King Kong y réussit magnifiquement, et je ne peux donc qu'applaudir.

Le musique est (ha ha...) le seul bémol. Alors que M. Jackson a fait revenir, notamment pour le scénario et les effets spéciaux, les mêmes équipes qui avaient fait un travail époustouflant sur le Seigneur des anneaux, il a recruté pour la musique James Newton Howard, compositeur de la musique d'Urgences, auteur de musiques d'ambiances, efficaces mais oubliées avant la dernière mesure. Là aussi il aurait dû prolonger le contrat d'Howard Shore, à mon avis le meilleur compositeur de musiques de films à Hollywood en ce moment (en tous cas le plus original), dont les oeuvres restent gravées durablement au coeur de toute personne qui a vu un des films du Seigneur des anneaux. Sur ce point crucial, M. Jackson passe avec la moyenne alors qu'il aurait pu avoir une excellente mention comme sur tous les autres.

Mais si vous avez trois heures à tuer, rendez-vous un service, allez le voir. Au pire, vous oublierez le monde exterieur, vous ne verrez pas le temps passer, et vous en ressortirez fourbu d'être resté assis aussi longtemps, mais heureux car destressé par un bon divertissement. Au mieux, vous vous attacherez à des personnages et à une histoire qui viennent vraiment du coeur d'un des meilleurs réalisateurs au monde, tellement que vous écrirez un article dessus sur votre blog.