Nihil Nove

06 mars 2006

Une Déclaration des droits du contribuable

Notre dette nous pend au nez. Pourquoi ?

Prenons quelques chiffres : de 1986 à 1988, le Gouvernement a réduit le déficit de moitié. De 1993 à 1997, les gouvernements l’ont réduit d’un tiers. Depuis 2002, il ne l’a pas réduit. On constate donc l’incapacité de nos gouvernants depuis vingt ans à réduire la dette par eux-mêmes.

La raison est simple : électoralement parlant, c’est beaucoup plus payant d’hypothéquer l’avenir pour s’assurer du présent. Nos gouvernants sont donc naturellement incités à gérer l’État de manière irresponsable.

Je propose donc de faire une importation des États-Unis : la Taxpayer’s Bill of Rights, ou Déclaration des droits du contribuable. De nombreux États américains ont adopté ce dispositif. Les modalités de cette innovation varient, mais l’idée reste globalement la même : placer des cadres constitutionnels sur la capacité d’un État de lever des impôts, et donc sur sa capacité de nuisance économique.

La plupart du temps, cela inclut une interdiction des déficits, et l’accrochage du taux annuel d’augmentation des impôts à un ou plusieurs critères objectifs : au Colorado, toute augmentation d’impôt doit être inférieure à l’augmentation de la population. La déclaration prévoit aussi ce qu’on doit faire en cas d’excédents, et là encore les solutions varient : les rendre au peuple sous forme de rabais d’impôts, les investir dans un Fonds « pour les jours de pluie », ou dans des domaines précis de l’action gouvernementale comme l’éducation.

La plupart des gens à qui j’ai évoqué cette hypothèse, même les plus libéraux, ont été choqués. Placer ainsi des limites draconiennes sur la capacité d’action des gouvernants, interdire toute politique fiscale, c’est anti démocratique ! On n’y songe pas !

Pourtant, l’apport principal du libéralisme à la pensée mondiale, n’est-elle pas justement cette idée, qu’on a appelé checks and balances ou encore État de droit, la conviction aussi géniale qu’absurde qu’il faut placer des limites juridiques à l’exercice du pouvoir ?

Il est aujourd’hui universellement admis qu’il ne saurait y avoir de démocratie sans la protection par la Constitution des libertés politiques des citoyens. Pourquoi donc ne pas protéger également leurs libertés économiques ? Est-il si choquant, dès lors qu’on considère que le droit de propriété est sacré et inaliénable, que l’on considère également que la première limite à ce droit, le pouvoir de l’État de lever l’impôt, doit être strictement encadrée par la Constitution ?

Prenons un parallèle : dans les années 1980 et 1990, devant les politiques monétaires électoralistes des gouvernants, de plus en plus de voix s’élevèrent dans les pays occidentaux pour réclamer l’indépendance des banques centrales. Quelle atteinte à un pouvoir régalien, celui de battre monnaie ! Pourtant, peu à peu, les banques centrales sont devenues indépendantes, et il est aujourd’hui reconnu que la banque centrale d’un État moderne doit être indépendante des tribulations politiques du moment, et que cette restriction est une avancée de l’État de droit.

Je postule qu’il en sera de même dans le domaine fiscal avec les déclarations des droits des contribuables que dans le domaine monétaire avec l’indépendance des banques centrales : ce ne sera bientôt plus une proposition radicale mais au contraire un attribut normal et nécessaire d’une gouvernance moderne.

Je propose donc que, pour une fois, la France ne soit pas la dernière en Europe à adopter une innovation mais, au contraire, qu’elle mène le bal et soit dans le camp de la modernité audacieuse plutôt que du conservatisme frileux. Elle en a d’autant plus besoin qu’une dette aussi abyssale que la nôtre appelle des solutions radicales. Insérons donc une Déclaration des droits de l’homme et du contribuable dans notre Constitution !

Quelles modalités envisager pour cette Déclaration ?

Premièrement, interdiction absolue des déficits. Avec la dette qu'on a, c'est une nécessité.

Deuxièmement, la fixation du taux de l’impôt à des critères objectifs. Les critères à choisir sont ici essentiels. Dans certains États, ces critères sont tellement flexibles que c’est comme s’il n’y en avait pas. Dans d’autres, ils sont trop rigides, ce qui pousse à des absurdités. C’est là qu’il faut miser sur le talent des juristes et des économistes. Ça fait tellement longtemps qu’on n’en a pas vu qu’on a oublié à quel point un texte, s’il est mûrement pensé et bien rédigé, peut être efficace.

Troisièmement, limitation du nombre d’impôts : un seul impôt sur le revenu, avec deux tranches maximum, un seul impôt sur les entreprises, un seul impôt sur la valeur ajoutée, un seul impôt sur le patrimoine. On a plus de cent impôts à l’heure actuelle : c’est ridicule.

Quatrièmement, enfin, et c’est ça qui, je l’espère, fera le sel de ma proposition : toutes les exceptions à la Déclaration sont possibles. Le seul hic est qu’il faut qu’elles soient adoptées par référendum.

Par exemple, même si ma Déclaration avait fait partie de la Constitution américaine, une politique volontariste comme le New Deal aurait été possible, car les impôts supplémentaires et les déficits qu’elle occasionna auraient été approuvés par le peuple américain. En cas de guerre ou de catastrophe nationale, le peuple acquiescera nécessairement du besoin d’ajustements fiscaux ; sinon, c’est que la catastrophe ne doit pas être si grave.

La flexibilité de la politique fiscale existe toujours, mais il faut que le peuple l’approuve. Et en fait, à travers la politique fiscale, c’est la politique tout court qu’une telle Déclaration rendrait au peuple. Tout comme les parlements se sont emparés du pouvoir en commençant par les impôts, une vraie démocratie directe et participative, telle que la vie moderne le permet enfin, serait rendue possible en rendant la politique fiscale à ceux qu’elle concerne au premier chef : les citoyens.

En tapant dans leur portefeuille, on intéressera (dans les deux sens) les gens à la manière dont leur État est géré, donc à la politique, et on ramènera donc la Cité là où elle doit être : sur le Forum, pas dans le Capitole.